Il y a trois ans, une poignée de chanceux acquérait dans l’intimité la première monture de la compilation Sky Girl confectionnée à l’époque par DJ Sundae et Julien Dechery. Tirée à une centaine d’exemplaires et uniquement disponible chez Colette, elle se présentait vierge de toutes indications à la manière d’une mixtape que vous aurait soigneusement confectionnée votre cousin ou votre grand frère. Derrière cette écoute à tâton se cachait une sensibilité sans âge ni époque ou genre qui s’unifiait par la somme des sentiments qu’elle transportait avec elle. New-wave, folk, et americana se télescopaient avec douceur dans un entrelac confidentiel.
Aujourd’hui cet îlot paisible s’ouvre au monde, auréolé d’une nouvelle tracklist et d’une sortie sur Efficient Space, un label australien tenu par Michael Kucyk, homme de radio avec l’émission Noise In My Head. Avec l’appui des deux Français, ce dernier s’est occupé de clearer les quinze morceaux qui habitent la nouvelle monture de cette compilation. A l’arrivée de ce travail de fourmi qui aura pris deux ans, Sky Girl est un modèle de cohérence, construit sur une fine ligne par des artistes confidentiels, pour lesquels il est bien difficile de trouver ne serait-ce qu’un bout d’histoire. Ressuscités le temps d’une chanson, les voilà aujourd’hui inscrit dans un voyage dont on a retracé le déroulé autour d’une bière avec Laurent Richard aka DJ Sundae et Julien Dechery.
Avant de parler de la compil, j’aimerais savoir comment et où vous vous êtes rencontrés ?
DJ Sundae : On s’est rencontrés à une soirée.
Julien Dechery : Oui, tu jouais avec Benjamin Vidal de la compil Disco Sympathie. Je connaissais Laurent de réputation parce qu’il postait pour Alain Finkelkrautrock, et je trouvais que ses posts étaient les plus cool et les plus raccords avec mes goûts musicaux.
DJ : On s’est vite entendus sur des morceaux ricains pas très connus. On a à la base une culture un peu soul, funk, jazz, et après on a dévié sur des trucs plus new wave, private press. Il y a assez peu de gens à Paris qui étaient dans ce délire là, et Julien avait suivi ce cheminement.
J : Oui, dans mon entourage j’avais des gens qui avaient une culture club, et de l’autre côté, plus rock psyché. Quand on s’est rencontrés on s’est intéressés à certains disques de folk, on avait eu un peu le déclic sur la même interview d’un vendeur de disques dans Wax Poetics.
Dj : C’était un vendeur de disques qui avait fait une sélection assez dingue, c’était rigolo qu’on s’entende là-dessus. Tous les gens que j’ai rencontrés étaient dans ce délire italo, cosmic mais pas vraiment dans des trucs plus posés, d’écoute.
J : Maintenant c’est bien à la mode, mais à l’époque on ne rencontrait personne qui avait les mêmes goûts.
Du coup, c’est de là que vous est venue l’idée de cette compilation ?
Dj : À la base, c’est Cosmo Vitelli qui m’avait proposé de faire une compilation, parce que je lui avais envoyé des sons un peu bizarres des années 80 et on en a plus reparlé. A côté, j’avais mes potes de Dirty Sound System qui avaient fait les compils pour Colette, du coup je me suis dit pourquoi pas leur proposer. Je leur ai demandé comment ça se passait et j’ai parlé du projet avec Clément que je connais depuis longtemps puisqu’on est tous les deux de Montpellier et qu'il s’occupe de la musique chez Collette. Le lendemain il m’a dit que ça l’intéressait. On a commencé à mettre des morceaux de côté, on lui a soumis la tracklist, il a trouvé ça super, et il était ok pour le sortir. Il ne finance pas les compils, mais il s’assure d’en acheter un minimum pour rembourser les frais de productions, rien n’était clearé pour la première version, il ne s’engageait pas non plus.
Sky Girl ressort 3 ans plus tard, avec une tracklist différente, qu’est-ce qui vous a poussé à ressortir la compilation et comment s’est faite la connexion avec ce label australien, Efficient Space ?
J : On a sorti la compilation chez Colette à une centaine d’exemplaires, et du coup on l’a faite tourner autour de nous. On a demandé à Misha qui s’occupe de la marque de fringue P.A.M s’il pouvait travailler avec nous, et Michael Kucyk m’a contacté parce qu’il a vu la compil et l’apport de Misha.
DJ : On n’avait pas les moyens techniques de clearer la compil. J’avais un label à côté, mais 15 artistes c’était un travail pharaonique donc on l’a sortie comme ça. On n’avait pas les moyens d’investir dans le pressage vinyle, on espérait secrètement que ça parle à un label et qu’il envisage de le faire officiellement. On n’a pas concrètement démarché de labels mais quand Michael nous l'a proposé, c’était parfait. On avait la même culture du disque, et en terme d’image c’était la structure rêvée pour sortir la compilation. Il comprenait ce qu’on faisait, il cherche les mêmes disques que nous. Je n'avais pas l’impression de parler à un label manager, mais plus à un ami.
J : Quand on a sorti la compil', il a adoré. Il nous en avait acheté quelques exemplaires pour les vendre sur le site qui allait avec sa web radio. Et quand il a monté un label, il nous a proposé de la sortir.
DJ : Il a vraiment tilté sur la musique en tant qu’amateur de musique. Je pense qu’il y a deux ou trois personnes chez les labels où on l’a faite passer qui ont trouvé ça sympa mais qui n’ont pas forcément creusé pour savoir ce qu’il y avait derrière les morceaux, et lui ça l’a vraiment touché.
Quelle était l’idée de base derrière ? Qu’est ce que vous vouliez mettre en valeur ?
J : En fait, quand on a commencé à parler musique, on s’est rendu compte qu’on avait des goûts en commun, au détour d’un mix par exemple. On avait des disques en commun, pas forcément les plus évidents, et d’étonnements en étonnements, on se découvrait des goûts mutuels.
DJ : Il y a eu des mini trucs, la compil' qui s’appelait Electronic Soul, une compilation de private press dans une veine un peu soft funk sortie sur Chocolate Industries. Peut-être qu’inconsciemment je me suis dis pourquoi ne pas faire quelque chose dans ce même délire, mais dans une veine plus folk. C’était la base de départ. Après on a mis des trucs sixties qui n’avaient pas forcément à voir, mais qui matchaient complétement. Même si c’est quand même pas mal de vieilleries, c’est difficilement identifiable. C’étaient des morceaux auxquels on était vraiment attachés, c’était plus la composition qui nous touchait, l’interprétation, l’émotion, la sensibilité.
Dans ce cas-là, qu’est-ce que vous recherchiez pour que le tout soit cohérent ?
J : Je pense que ça s’est fait un peu tout seul, on recherchait un type de son, et dans tout ce qu’on aimait, il y avait une sensibilité, du romantisme, même si c’est pas vraiment le terme exact. Quelque chose qui vient du cœur.
DJ : C’est juste de superbes petites chansons, qu’on pourrait difficilement classer en disant : "Ça c’est de la new wave, ça c’est de la bossa." Ce sont des morceaux qui sont dans le flou artistiquement mais qui sont vraiment attachants, intemporels, et qui prennent le dessus sur l’aspect vintage ou rare.
J : On ne s’est pas dit on va mettre ce morceau parce qu’il est rare, ou cher. Après on a cherché à mettre des choses que les gens ne connaitraient pas, mais il fallait quelque chose qui touche, avec un critère d’accessibilité.
DJ : C’était aussi des morceaux qu’on avait depuis longtemps de côté, qu’on adorait vraiment et qui ont mûri.
J : Il y a pas mal de morceaux que j’associe à des personnes.
DJ : Ce sont des choses très intimistes, presque susurrées par moments. C’est une manière hyper jolie et fragile de chanter. C’est pas des trucs très enlevés ou très orchestrés, ça repose sur pas grand-chose, mais il y a une petite magie qui s’opère. Ce serait pas mal d’arriver à mettre des mots dessus, mais c’est très personnel et ça fonctionne de manière presque magique.
J : Ca raconte un peu une histoire, un peu comme une mixtape que tu ferais adolescent, pour une meuf que t’aimes bien ou pour ton amoureuse. Il y a un côté comme ça, mes morceaux préférés où tu essayes de faire ressortir des choses qui te parlent vraiment.
C’est une compilation avec des artistes très différents, qui se transforme en album.
DJ : Ce que j’ai bien aimé, c’est que sur les quelques critiques qu’on a eues, tout le monde en parle comme d’un ensemble. Sky Girl, on en parle presque comme d'un personnage et c’est une des meilleures critiques ou lectures que l’on puisse en faire. C’est une seule et même histoire et les correspondances entre les morceaux sont essentielles dans la lecture de l’ensemble. S’il n’y avait pas eu de dialogues entre les morceaux de l’album, ça aurait été plus délicat.
Ça vous évoque quelque chose d’un point de vue visuel, cinématographique ?
DJ : Ah oui, pour moi c’est la BO parfaite pour un road trip, j’adore ce rapport entre la musique et l’image, et je pense qu’il y a pas mal de morceaux qui laissent une grande part à l’imagination. Scott Seskind, c’est un morceau avec sa copine.
J : C’est vrai que le texte de ce morceau est un truc hyper ressenti alors que quand tu l’écoutes, tu vas trouver le morceau très joli, mais peux être passé à côté du sens des paroles où il parle à un ami.
DJ : Tu n’arrives pas à l’écouter sans images en fait, c’est des morceaux qui n’imposent pas forcément leur vision des choses, mais qui laissent vivre l’interprétation.
Est-ce que la manière dont tu trouves le morceau contribue à l’affection que tu lui portes ?
DJ : Je pense qu’il y avait un mélange d’affectif et le fait d’être aussi les premiers à les compiler et à les mettre en avant. Evidemment il y a plein d’autres morceaux qu’on adore, mais ça, personne n’en a vraiment parlé, et ça mérite vraiment que ça soit rassemblé.
Qu’est ce que vous pensez du Record Store Day ?
DJ : Je n’ai pas vraiment d’avis là-dessus, moi ce n’est pas un truc qui me parle particulièrement, mais après si c’est pour mettre la culture du disque en avant, c’est cool.
J : Moi ça me parle pas, après il y a des disques qui sortent à cette occasion qui peuvent être intéressant.
DJ : Il faut faire le tri.
J : Il y a aussi un effet phénomène de mode, il y a des rééditions qui sortent des disques pas forcément cruciaux, des trucs dits rares, mais rare ça ne veut pas forcément dire bien. Il y a des disques assez connus qui sont pas réédités en vinyles et qui sont au final vachement plus intéressants.
Comment ça se passe en amont, ce processus pour clearer, pour trouver les gens ?
DJ : On avait des pistes en amont. Ça nous a pris deux ans, même un peu plus. On avait des pistes par rapport aux disques qu’on avait achetés, des vendeurs privés qui connaissent les artistes. On a aiguillé Michael sur les contacts qu’on avait. Et après c’est lui qui a fait tout le travail de recherche. Il y a eu plusieurs cas de figure : des appels téléphoniques, des lettres manuscrites, des gens qu’on avait totalement perdu de vue, chaque morceau à son histoire. Il y a un tiers qui a été très facile, avec des gens qui appartiennent à un label où il a juste fallu signer un contrat, mais il y a eu des choses assez improbables. Un des derniers morceaux qu’on a mis sur la compil', c’était une chanson du groupe de pop chrétienne The Seraphims. On s’est mis d’accord sur le fait qu’on pourrait mettre le morceau et on a trouvé la trace de la compositrice, mais elle était morte un mois avant.
J : Non même pas, elle est morte deux jours avant. On a reçu un avis de décès, et il a fallu négocier avec les ayants-droit, sa famille. On a attendu un mois avant de les contacter. Ca a été long, ils n’ont pas dit oui de suite, on a eu le frère, l’oncle, la fille, et c’était des gens qui n’étaient pas forcément dans la musique. Du coup, ils étaient étonnés, il a fallu leur faire écouter d’autres morceaux qui pouvaient un peu correspondre avec l’esprit du morceau qu’on voulait. Je pense qu’il y a d’autres labels qui n’auraient pas eu la patience ou l’envie.
Les gens sont réticents de manière générale ?
DJ : Très peu en fait.
J : On a eu un peu de tout, mais c’était plus de la curiosité.
DJ : Non mais les gens réticents, c’est ceux qui n’étaient pas les ayants-droit directs. 80% des gens étaient très contents et ils étaient même assez flattés.
J : Quand on a eu affaire à la famille, ils n’étaient peut-être pas dans le milieu de la musique, ils hésitaient un peu avant de s’engager, de signer un contrat, ce qui est normal en même temps.
DJ : La plupart des artistes ont sorti un disque il y a 30 ou 40 ans, ce sont des morceaux dont ils ont complétement oublié l’existence. Plein de personnes nous ont dit : "J’ai l’impression que ce n’est pas moi qui ai fait ce morceau." C’est tellement vieux pour eux.
J : C’est comme une époque un peu révolue de leur vie.
DJ : Il y a quelques artistes qui suivent l’évolution de la compil', et qui laissent des petits messages sur Facebook. On est assez contents de voir ça, c’est touchant, même si ce n’est pas nous qui les avons eus en direct. On n’a pas suivi toutes les tractations, mais on sait si tel ou tel artiste est content. On sait que ça a été long, on a eu plus de retours sur les moments de galère.
J : Michael a fait un travail de fou, il était vraiment insistant, il n’a pas lâché l’affaire, il a tout clearé.
Vous l’avez regretté ce côté en cercle fermé de la première version ?
DJ : Non parce que c’était un parti pris, on la cleare pas, c’est une mixtape un peu sous le manteau. Mais on a eu assez vite cette idée de la partager.
J : L’idée c’est aussi qu’un maximum de personnes puisse y avoir accès et que ça ne prenne pas forcément l’image d’un truc limité qui ne s’adresse qu’à une élite.
DJ : Quand elle est sorti la première fois, on ne se doutait pas que ça pouvait prendre une tournure officielle, intéresser quelqu’un, qu’on allait contacter 15 artistes, et que quelqu’un se donne la peine d’investir de l’argent dans ce projet. On l’a fait un peu comme ça, on s’est dit, c’est rigolo, mais on n’avait pas d’autre choix en fait.
Vous avez demandé des infos personnelles sur les artistes de la compil' ? Il y en a pas ou très peu sur le net.
DJ : Quelqu’un qui a fait un petit teaser vidéo, qui est allé un peu plus loin, personellement je n'ai parlé à aucun des artistes en direct.
J : Moi j’ai parlé à Nini Raviollette, qui est en France à Paris, c’est le seul morceau français qu’il y a sur la compil', elle a fait un maxi, avec une autre personne qui s’appelle Bertrand. C’était des potes qui faisaient tous partie d’un collectif, il y en a un qui était plus dans le collage et un autre plus dans la musique, et ils faisaient tout ça ensemble. Ils avaient fait un maxi qui avait pas mal marché. Mais Nini, faire de la radio, de la promo, ça lui allait pas du tout. Elle a embrayé sur autre chose, elle est devenue monteuse vidéo et elle a bossé sur tous les clips de raps des années 90, pour NTM, IAM ... Pour la retrouver, j’ai contacté une boite de production avec laquelle elle avait travaillé. J’ai retrouvé son acolyte Bertrand et je pense qu’il était étonné qu’on les contacte pour la compil'.
DJ : Et entre le moment où on a contacté Bertrand et la sortie de la compil', il est décédé.
J : C’était triste, il avait donné son accord, il était très enthousiaste, je ne sais pas depuis combien de temps ils se voyaient, ils sont super sympas, hyper potes entre eux. C’est à eux que j’avais eu affaire, et même si je ne les connaissais pas trop, ça m’a touché. Les retrouver, discuter, aller boire des coups, parler musique, savoir ce qu’ils faisaient à l’époque, quelle musique ils écoutaient ... C’est super intéressant, de savoir ce qu’ils faisaient, on écoute plein de choses avec les labels de rééditions, mais savoir ce qu’il y a derrière, ce que les gens écoutaient dans les années 80, on peut le fantasmer mais c’est bien d’avoir quelqu’un qui t’en parle.
La version physique de Sky Girl est sold out mais pas de panique vous pouvez encore vous la procurez en digital sur le site d'Efficient Space. Elle est en écoute intégrale ci-dessous :
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