Je n’avais plus fait la brocante de ma ville depuis une éternité, dans mes souvenirs on y vendait surtout des jouets Happy Meal et des bibelots dignes du musée des horreurs. C’était peut-être le premier dimanche ensoleillé du printemps, j’avais découché, et ma gueule de bois que je tentais de dissimuler derrière mes solaires me donnait l’impression d’être l’objet le plus crasseux de la brocante. J’étais en retard, la remballe n’était pas loin, il fallait faire vite : pas le temps de vérifier l’état des galettes ni de vérifier qu’elles correspondent bien aux pochettes. C’est donc peu dire que je n’en attendais pas grand-chose, tout au plus quelques kitscheries populaires françaises. Les premiers stands confirment mes craintes : la chanson française la plus innommable côtoie les vieilleries les plus invendables dans des cartons de vinyles entassés en plein soleil aux pochettes déchirés où les dizaines de 45 tours de Ghostbusters sont les seules réjouissances.
Je finis par trouver quelques perles, et puis l’illumination : entre les marches militaires et les chants religieux, Avalon de Roxy Music en état quasi-neuf. L’album n’a vraisemblablement pas été écouté plus d’une fois. Un cadeau raté à 1€ qu’on vendait par brouettes à l’époque. Au même endroit je trouve Sweet Dreams et Songs From a Room, une tripotée de 45 tours enthousiasmants et même deux autres albums quelconques du groupe (Viva ! et Flesh + Blood) quelques stands plus loin, mais rien d’aussi excitant que le mythique Avalon.
Plus jeune, Roxy Music se résumait pour moi comme pour beaucoup d’autres à Love is the Drug, Dance Away, la reprise de Jealous Guy et donc More Than This. Ce single très "Grand Bleu" avant l’heure que Bill Murray chantait en karaoké dans Lost in Translation. Plus tard, c’était surtout un groupe de glam de plus sur lequel je me déhanchais dans ma chambre adolescente en regardant le playback de Virginia Plain à Top Of The Pops. Et puis j’étais complètement fasciné par les pochettes de ce groupe, et pas seulement à cause de leurs pin-ups. J’aimais surtout le glam des deux premiers albums quand tout était trop dans ce groupe, plus que la présence de Brian Eno qui était trop intello pour devenir mon idole comme Bowie et Bolan. Et puis Country Life bien sûr, mais c’est une autre histoire.
Brian Eno parti faire ses expérimentations ailleurs depuis bien longtemps, Avalon est déjà presque davantage un album solo de Bryan Ferry qu’une œuvre de Roxy Music. Mais qu’importe, j’aime les disques de Ferry comme j’adore cet abus de synthés qui aurait été vulgaire partout ailleurs mais qui apparait comme le pinacle de l’élégance quand sa voix s’en mêle. Le sommet, c’est Take a Chance With Me, avec son introduction et sa coda de guitares turgescentes qu’on aimerait ne jamais entendre finir, son rythme disco et son refrain rehaussé de notes de synthés plus pop que top. Un album plus new age que new wave parfait pour la mélancolie pathétique de fin de week-end.
Et puis il y a cette sublime pochette en référence aux mythes arthuriens : pas de top model dans une position lascive non, mais la copine de l’époque de Bryan Ferry cachée sous un casque à pointe et tenant un faucon. Avalon, c’est donc l’un des premiers albums qui allait me réconcilier avec les années 80, alors même qu’il constitue assez ironiquement le crépuscule de Roxy Music, groupe qui semble surtout avoir traversé les années 70 en évitant presque tous ses écueils.
@LesterBangs /
Retrouvez la chronique sur Les Disques des Brocantes.
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