Les brocantes et vide-greniers, je les fréquente depuis un bail. Mais je n’y cherche plus de disques. Ou alors, très mollement. J’ai beaucoup donné, notez bien. Surtout au tournant des années 90/2000. Mais très peu pour des disques de rock. Il y avait eu la parution des deux tomes d’Incredibly Strange Music chez Re/Search, deux bouquins qui ont largement contribué à la vague exotica/easy listening/Moog chez ceux qu’on n’appelait pas encore des hipsters à l’époque. Et c’est peu dire que j’ai plongé. En ramenant de cette pêche aux musiques déconsidérées – ou jamais considérées sérieusement – de vraies merveilles comme des canards boiteux (surtout à cause de leurs pochettes ; que celui qui n’a jamais craqué sur un James Last pour la barbe bien peignée du chef d’orchestre allemand me jette le premier Teppaz). Pour dire, j’ai été jusqu’à acheter une compilation de Heino, le roi du schlager. Mais au bout d’un moment, j’ai eu l’impression d’avoir fait un peu le tour de la question. Et les vinyles finissent par sérieusement encombrer.
Les vide-greniers, maintenant, c’est surtout un prétexte pour m’aérer le week-end, un but de promenade. L’autre dimanche, je n’avais même pas vu qu’il y en avait un rue de la Villette, à Paris (XIXe). Je devais aller à celui de la place Sainte-Marthe (Paris, Xe, le cœur de Boboland, près de chez moi), mais nib, annulé sans autre forme de procès. Alors, j’ai poussé jusque dans le haut Belleville. J’étais déjà content, j’avais trouvé Les Particules élémentaires de Houellebecq. Et puis je suis tombé sur ce “Kick Out The Jams” qui me faisait de l’œil, en tête de pile, posé sur une table. Je ne parle pas de l’album, là, mais du 45 tours, couplé à “Motor City Is Burning”. Je ne savais même pas que c’était sorti en single en France. Combien ? 2 euros. Ah, là, impossible de faire la fine bouche. Même si j’ai toujours préféré les Stooges au MC5, et High Time, le deuxième album, à ce fameux live au Grande Ballroom, même si je ne suis pas vraiment collectionneur… Mais il s’agit quand même de Detroit, de haute énergie, de la partie la plus avouable de mon adolescence. D’un des hymnes historiques du rock, où il n’est question que d’envoyer la purée. En version censurée où un inepte “Brothers and sisters” remplace le “Motherfucker” originel, mais quand même. Le 45 gratte un peu, la languette sur le côté est déchirée, mais il n’en manque pas de bout. La languette, je ne me souvenais même pas qu’il y en avait eu une sur certains singles, je pensais que c’était réservé aux EP. Nostalgie ?
Oui, mais vite fait, alors.
Parce que, pour être franc, ce qui m’a vraiment réjoui, dans cette même semaine, ce sont les deux premiers singles de Bleached achetés à la table du merchandising, lors de leur passage au Trabendo. Vous ne connaissez pas Bleached ? Le groupe des sœurs Clavin, Jennifer et Jessica, au confluent des Ramones et des Shangri-La’s. Non, décidément ? Pas grave. Un groupe mineur, sans doute. Mais actuel. Frais. Bien vivant. Et c’est ça qui m’excite vraiment. En ces temps où vivre de la musique est plus difficile que jamais, acheter des disques (neufs) est devenu pour moi une forme de mécénat au petit pied, un genre d’acte de foi un tantinet fétichiste. Qui se pratique lors des concerts, ou chez mes disquaires indépendants favoris (ça, c’est l’avantage d’être parisien), qui méritent de vivre, eux aussi. Alors, tant pis pour les brocantes.
Thierry Chatain
Retrouvez la chronique sur Les disques des brocantes.
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