Luke Abbott explique à qui veut bien l'écouter que la musique qu'on peut entendre sur Wysing Forest est très influencée par la mouvance spiritual du free jazz, notamment les fameux Organic Music Society de Don Cherry et Journey in Satchidananda d'Alice Coltrane qu'il "écoutait en boucle pendant l'enregistrement du disque en plus de trucs deTerry Riley et Team Doyobi". Curieusement, on a envie de dire que ça s'entend.
Car si la musique électronique dégondée, décentrée et volontiers divagante qu'on peut entendre sur ce gros deuxième album n'a rien à voir avec du jazz à proprement parler, on y perçoit très fort une volonté de s'insérer dans les mouvements et les cadences des astres et des êtres vivants effectivement caractéristique des moments les plus cosmiques du free jazz américain. Le titre du disque (qui fait en premier référence au Wysing Arts Centre, lieu de résidence pluridiscliplinaire perdu dans la South Cambridgeshire où Luke Abbott l'a élaboré), ceux de la plupart de ses morceaux ("Tree Spirit", "The Balance of Power", "Free Migration") et les arbres qui s'exhibent sur sa pochette ne laissent même aucun doute quant à l'intention cachée qui explique cette connexion extramusicale: c'est un disque naturopathe dont l'ambition est rien de moins que nous remettre sur le droit chemin de Dame Nature.
Contrairement aux grands disques de jazz cosmique, élaborés en collectif et la bouche bourrée de pétales de fleurs et de patchouli, c'est pourtant un disque intégralement électronique, élaboré en quasi solitaire face à face avec les interfaces compliquées d'un système modulaire et d'une batterie d'effets. Ce qui, à l'instar du gros de la musique new-age, peut sembler quelque peu paradoxal. Mais ça serait mal comprendre la technologie qu'Abbott et ses semblables (au hasard, James Holden) ont au bout des doigts.
Sans rentrer dans les détails, les synthétiseurs blindés de boutons en général et les modulaires en particulier sont en effet les plus organiques des instruments électroniques, dans la mesure où ils permettent au musicien pas trop flemmard de créer des interfaces où son esprit peut se perdre et s'oublier. En quelque sorte, ces machines de guerre à l'aspect quelque peu intimidant rendent la musique électronique plus instinctive et plus naturelle. Ainsi les 9 divagations qui composent Wysing Forest ont été enregistrées en temps réel, dans l'intimité si particulière qui peut se créer entre un musicien et les circuits d'un synthé suffisamment bien luné pour se laisser tripoter. Ça s'entend tout particulièrement sur le bien nommé "Free Migration", qui n'est pas seulement une ode bienvenue à la libre circulation des hommes sur la Terre mais un hymne à la libre circulation des notes dans une séquence de musique électronique. Et ça, la musique électronique ne peut pas le refuser.
Wysing Forest sort le 23 juin sur Border Community.
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