A l'instar d'Anna Meredith ou Nico Muhly, Oliver Coates fait partie de cette génération inédite de petits génies formés à l'excellence au Conservatoire mais qui ont gardé une oreille ouverte sur le boucan pop de leur temps et les nouveaux rythmes qui s'échappaient le samedi soir du club au coin de la rue de la maison. Ou plutôt, dans le cas précis de ce violoncelliste londonien méchamment eclectique, une oreille collée sur les radios pirates du coin et les disques de Photek qu'il écoutait obsessionnellement dans son enfance entre deux exercices sur son instrument.
Membre de l'Aurora Orchestra et soliste à la réputation grandissante, Coates s'épanouit autant dans les oeuvres de Bach, Britten ou Dvořák (dont il a joué le fameux Concerto pour violoncelle aux quatre coins du monde) que la musique des mastodontes de la musique contemporaine Iannis Xenakis, Jonathan Harvey ou Helmut Lachenmann et la création d'oeuvres de jeunes compositeurs à cheval entre la pop et l'académie, comme Anna Meredith justement, Emily Hall ou Mica Levi (AKA Micachu), dont il a interprété souvent la (magnifique) bande-originale d'Under the Skin de Jonathan Glazer en concert.
Egalement collaborateur de Jonny Greenwood de Radiohead, Ben Frost ou Leo Abrams (chouchou de Brian Eno derrière la console du très beau Small Craft On A Milk Sea), Oliver Coates a entamé son oeuvre d'artiste solo en 2013 avec Towards The Blessed Islands, bel album hybride édité par Prah (sous-label de Moshi Moshi qui édite les oeuvres du producteur house Bryce Hackford ou de la violoniste kazakh Aisha Orazbayeva) où il mettait son hétéroclisme et sa technique ébaubissante au service d'oeuvres de David Fennessy et Xenakis autant que Squarepusher (!) ou Roy Harper version This Mortal Coil. Toujours au centre des arrangements et de l'espace sonore, le violoncelle y conversait dans toutes les langues et toutes les tonalités avec "des cithares, des tuyaux harmoniques, des sons électroniques, des infrabasses, des boucles de piano en cours d'effacement et la voix d'une chanteuse folk du comté de Caithness".
Upstepping, son deuxième album sous son nom, est un objet musical d'une toute autre nature. Le violoncelle y est de nouveau de tous les plans, dans toutes les couches (Coates jauge la présence de son instrument à 95%) mais l'ensemble sonore évoque moins une énième croûte néo-classique qui revisite l'héritage de Philip Glass à travers l'electronica d'ascenseur à écouter au Sennheiser à 300 boules pour pour caresser son canapé en peau de vache qu'un hybride inédit entre les musiques nouvelles d'hier et d'aujourd'hui et la bass music au bord de la désintégration d'Actress, Funkineven et tous les petits scarabées qui fabriquent leur dance angoissée dans leur sillon.
Comparé de manière un peu mécanique par la presse britannique à Arthur Russell pour sa manie de passer son instrument dans divers effets électroniques (saturation, delay), Oliver Coates a effectivement tourné avec le tromboniste / compositeur Peter Zummo, compagnon et collaborateur inséparable de Russell, mais la comparaison s'arrête à peu près là. Intimement liée à la lingua franca UK Garage et à ses dizaines de succédanés (hardcore, jungle, bassline...), la "body music" faite à la main du Londonien évoquerait plutôt un Four Tet obsédé par les détails plutôt que l'efficacité de ses boucles, du nu disco tombé au fond d'un précipice, le "City Life" de Steve Reich recomposé au fond d'un égoût de l'East End dans le XIXè siècle noirci au charbon de William Blake.
Le titre de l'album lui-même, Upstepping, s'avance comme un clin d'oeil à la foultitude de sous-genres de dance britannique avec le suffixe jamaicain "step" dedans (2-step, dubstep, techstep, hardstep jungle..). Dans le texte de présentation officiel de l'album, Coates dit avoir emprunté le terme à Genesis P-Orridge de Throbbing Gristle et Psychic TV :
"J'ai entendu une interview de Genesis P-Orridge où il utilisait le terme "upstepping" (un terme de linguistique) en référence à la race humaine, et sa capacité à s'élever et à s'adapter à une cadence toujours plus élevée. Je m'intéresse beaucoup aux états intermédiaires. L'idée de ce disque, c'était un prolongement de mon amour pour la production de dance music, que j'ai commencé à un très jeune âge, en parallèle de ma pratique du violoncelle dans le cadre contraint des usages de la musique classique - l'interprétation de musique écrite assis devant un pupitre. (...) De manière plus simple, "Upstepping" évoque mon désir de jouer debout, de m'engager et me mouvoir avec mon corps tout entier. Artistiquement, ça correspond à mon besoin de créer une musique du corps, gonflée à bloc - c'est-à-dire le contraire d'une musique cérébrale - pour voir où ça emmène formellement la musique."
Comme la musique de ses camarades de jeu Mica Levi ou Anna Meredith, la musique d'Oliver Coates ne ressemble à rien dans sa totalité, et à mille autres musiques quand on commence à la démantibuler. A l'inverse des sensibleries de Nils Frahm, elle déjoue surtout les attentes et les préjugés qui viennent illico en tête quand on met dans la platine le disque d'un prodige du violoncelle classique qui s'essaye à la musique élecronique qui faisait battre son coeur quand il était bambin. Parole de râleur professionnel : on a trouvé plus d'idées et de libertés prises dans Upstepping que dans 80% des disques de house music sortis sur le territoire britannique cette année. L'album est sorti vendredi dernier sur Prah / Moshi Moshi, on vous a déniché trois extraits pour que vous vous fassiez une idée. Et il s'écoute intégralement chez The Quietus.
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