On ne vas pas vous faire l'affront de vous expliquer ce qu'un album de pianiste consacré à l'oeuvre de Philip Glass peut bien faire sur un label de musique électronique, a fortiori un label ouvert à la chose classique comme InFiné. Pour la jonction musique répétitive / musique de danse électronique, c'est emballé/pesé (on l'espère) dans votre crâne depuis bien longtemps; pour les accointances du label parisien avec la musique classique, les diverses expériences du pianiste Francesco Tristano ou de Rami Khalifé ou la présence au catalogue du label du Concert pour piano n°23 de Mozart par Vanessa Wagner avec Les Siècles parlent pour ainsi dire d'elles-même.
Chose qui concerne plus directement l'objet discographique dont on vous parle aujourd'hui, Bruce Brubaker fait partie de cette génération d'interprètes qui ont pris acte de l'existence de la musique électronique dans leur monde au point de mettre en relation l'interprétation des oeuvres et l'art du remix sans qu'aucun musicologue à la petite semaine (il a lui même une bonne bibliographie d'articles théoriques derrière lui) leur force la main.
Professeur à la prestigieuse Juilliard School de New York (où il a compté Francesco Tristano parmi ses élèves et avec qui il se produit souvent sur scène au piano à quatre mains autour de programmes mélangeant joyeusement repertoires classiques, contemporains et adaptations pianistiques de classiques techno du genre dont Tristano s'est fait une spécialité), collaborateur régulier de l'icône Meredith Monk et de diverses figures du royaume néo-tonal (Nico Mulhy notamment), Brubaker fait surtout partie des rares acteurs de la musique nouvelle actuelle à chercher encore la petite bête au sempiternel schéma créateur démiurge / interprète dévoué / public passif, puisqu'il ne cesse de répéter, ici ou là, que l'interprète doit, plus que jamais à l'ère hypertechnologique qui est à la nôtre, s'investir dans l'interprétation comme un acte de création à part entière.
C'est particulièrement le cas pour ses propres interprétation des pièces pour piano solo de Philip Glass, qu'il s'approprie comme peu de pianistes avant lui, au point de trahir la doxa de l'interprétation à l'ère postmoderne et, c'est tout le paradoxe qui nous intéresse, de recevoir l'adoubement ultime de Glass lui-même qui l'a canonisé publiquement comme l'un de ses plus grands interprètes. Dixit Brubaker: « La culture du remix, l’art de post-production est un art actuel. Les artistes aujourd’hui se frayent un chemin à travers ce qui s’est fait dans le passé. Je vois que je le fais de plus en plus. Je commence à partir de notes écrites par Philip. Mais la musique est une activité de groupe, une transaction. Cette musique n’existe que parce qu’elle fût écrite, puis interprétée par moi, et écoutée par des auditeurs. Les auditeurs qui l’écoutent complètent cet art. La première fois que j’ai joué Mad Rush pour lui, à peine avais-je joué les premières notes que Philip m’a dit : « Voyons ce que tu as à dire dans ce morceau ».
Avis aux amateurs et aux spécialistes, donc: il est à peu près certain qu'on n'a pas entendu des Metamorphosis, Mad Rush et Wichita Sutra Vortex aussi vibrantes et émouvantes depuis Solo Piano, indispensable anthologie et oeuvre emblématique de l'Amérique yuppie où Glass les interprétait lui-même. Glass Piano sort le 1er juin. Plus d'infos sur le site d'Infiné.
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