Voilà plus d'une décennie qu'Electric Electric inonde scènes et esprits de sa musique hybride, entre noise, krautrock et structures mathématiques. Depuis sa formation, le trio français a toujours cultivé une certaine schyzophrénie, partagée entre la cérébralité de ses disques et un rapport très frontal et physique à la scène et son audience. Sorti en septembre, son troisième album, le bien-nommé III, se démarque de ses prédécesseurs. À l'occasion de leur passage au festival BBMix ce week-end à Boulogne-Billancourt, Eric Bentz, poly-instrumentiste de la formation, nous a narré la genèse de ce nouveau disque. Après plusieurs années d'une construction linéaire, ponctuée par la cour de récréation de la Colonie de Vacances (supergroupe composé notamment de membres de Deerhoof, Pneu, Papier Tigre, Marvin), le moment d'une rupture sonore était bienvenu.
"J'avais envie de créer une musique qui allait plus loin que Discipline même si on n'est peut-être pas allé aussi loin que je l'aurais souhaité", explique t-il. "J'aurais même pu sortir un album d'ambient, cela ne me posait aucun problème de piper les cartes pour être tranquille avec ça. Je suis d'accord sur le fait que Discipline joue encore avec les codes utilisés sur le premier album Sad Cities Handclappers, avec des batteries qui martèlent à des tempos rapides. Pour III, c'était très différent, les premières phases de travail sont liées à une sorte de rejet de nos premières esthétiques car on les a beaucoup jouées. Quand j'essayais de revenir au cadre avec lequel on nous attendait, rien ne retenait mon attention, j'avais pas envie de faire cette musique là. Mon plaisir, je l'ai trouvé en faisant des chansons explosées de reverb', brumeuses et pour certaines, très lentes. On a dû construire quelque chose autour de ça, puis il y a eu d'autres pièces plus rythmiques qui faisaient écho aux premiers travaux du groupe, comme "Pointe Noire". En effet, le disque est peut-être aussi plus synthétique. Je ne voulais plus entendre une guitare saturée, on ne l'entend plus et de fait, mon propre dispositif a été remis en question."
Mais si III est sans doute le plus sinueux de la discographie des acolytes du label Kythibong, il se dégage une certaine frénésie, une violence sourde, contenue mais bel et bien perceptible. Entre les voix tourmentées de "Black Corée" et son synthé obsédant, la progression tout en retenue de "Klimov" ou les sirènes de "Dassault", ce disque recèle une noirceur hypnotique, guère éloignée de l'atmosphère de la techno la plus sombre.
"On écoute beaucoup de musiques électroniques, qu'elles soient de clubs ou non." rappelle Éric. "Depuis le début du groupe, on est dans ce rapport aux boucles, à la musique cyclique. Après, de la techno à la musique contemporaine, quel est le point commun ? On peut dire que c'est le psychédélisme qui fait le pont entre toutes ces musiques répétitives. On y est assez sensible. Il y a peut-être dans ce disque un brin d'influence de techno un peu anxiogène mais pas forcément en termes de musique, c'est plutôt lié au climat dans lequel on a travaillé qui explique qu'on soit arrivé à ce caractère répétitif et anxiogène."
Pour autant, Electric Electric ne semble jamais autant s'être rapproché de formats plus classiques. Le climat évoqué précédemment conjugué aux structures de ces nouveaux titres, sans oublier le recours élargi aux voix, font de
III un album qui tend bien davantage vers le post-punk que le math-rock. Sans cesse comparé à Battles depuis sa formation, plus souvent à tort qu'à raison, Electric Electric se confond désormais à Bauhaus.
Electric Electric 'Dassault'
05:34
"J'avais envie d'un disque sans doute plus personnel, plus audible chez soi. Un collègue à toi m'a posé des questions sur mes influences : les Cure et Joy Division sont des groupes qui m'ont beaucoup marqué, que j'écoute toujours avec beaucoup de plaisir. Ils sont à jamais dans mon ADN musical. En voulant faire quelque chose de plus proche de moi, j'arrive sûrement à des choses qui évoquent des références comme celles-ci."
Le trio n'a néanmoins pas abandonné ses expérimentations et son goût pour l'exploration de l'altérité culturelle, et donc musicale. Dans "Pointe Noire", cette curiosité se manifeste notamment par la présence du
gamelan, un ensemble instrumental javanais composé avant tout de percussions, parfois aussi d'instruments à corde ou à vent. On retrouve ainsi les dissonances, pour une oreille occidentale, si chères au groupe, qui ne se prive d'ailleurs pas de conclure dans la zizanie par la suite avec "17° 00".
"Depuis le début, dans ce groupe, nous sommes fascinés par les musiques traditionnelles, de rituel, liées à la transe, à l'hypnose." confirme Éric. "Les états hallucinés qui se dégagent de ces musiques sont des choses qui me fascinent et qu'on travaille aussi dans notre pratique de la musique. Cette forme de libération des corps est vraiment quelque chose qui m'intéresse. Pour ces sons de gamelan (sur "Pointe Noire", donc), on avait envie d'une manière générale d'affiner notre son. Pour tout dire, ce rapport à cette esthétique, au moment d'écrire, j'avais ces images de ce film de Michael Cimino,
L'Année du dragon et j'étais dans une espèce de souvenir fantasmé de cette première scène, une espèce de cacophonie magnifique où est présente toute la tension du film à travers un carnaval chinois. Ce film m'a, je crois, amené vers ces sonorités là."
Le nouvel album d'Electric Electric,
III, est sorti en septembre dernier sur Murailles Music et Kythibong. Le groupe sera en concert ce week-end au festival BBmix à Boulogne-Billancourt. Toutes les infos sont disponibles
ici.