Bien malin le Jim Jarmusch d'avoir situé son Only Lovers Left Alive à Detroit. Les vampires figés dans leur ennuyeuse éternité voisinent avec les reliquats d'une ville éteinte. Et lorsque le vampire Adam demande à sa femme Eve, vampire aussi, si elle souhaite visiter le musée Motown, celle-ci lui répond : " I'm more of a Stax girl ". Memphis 1 - Detroit 0, Adam ne convoquera pas les gloires locales d'antan.
Detroit, donc. Les éditions Ollendorff & Desseins lui consacrent un ouvrage, quatre ans après s'être occupé de Berlin. Cela tombe bien car le créneau était libre, Allia n'ayant encore consacré l'une de ses imposantes monographies à la Motor City. Et comme son camarade berlinois, le Detroit Sampler se fend d'une playlist en ligne pour écouter les morceaux cités au fil des pages.
On ne va pas vous refaire l'histoire musicale de la ville-chrome qui s'est laissé pourrir par la rouille ; les uns la connaissent déjà, les autres la découvriront en lisant le livre. Précisons simplement que la Detroit et sa musique atteignent peut-être leur plus haut syncrétisme en 1976 dans le clip d'un tube signé Motown - fanstame fordiste de la création musicale - Nowhere to run de Martha Reeves & The Vandellas, où les trois chanteuses se baladent dans une chaîne de montage d'une usine automobile. Quant au lecteur déjà bien au fait, il apprendra certainement :
- Que chantaient des milliers de crèves-la-faim à Detroit durant la Grande Dépression ou les grévistes en janvier 37 pendant l'occupation des usines ?
- Quel morceau de 1948 est un sérieux prétendant au titre du " Tout premier morceau rock de l'histoire " ?
- Quel titre des oubliés The Staticones aurait inspiré à Berry Gordy Jr. le nom de " Motown" en 1959 ?
- Comment Georges Clinton arrivait à embrouiller les labels pour se faire signer sur plusieurs d'entre-eux en même temps ?
- En 1982, quel frontmam d'un groupe de hardcore local, lorsqu'on l'interrogea sur ses influences, répondit : " Les gens que je hais à Detroit, et ça fait beaucoup de monde!" ?
- Pourquoi Juan Atkins a-t-il placé la naissance de la techno sous le patronnage d'Henry Ford, joyeux réactionnaire antisémite ?
Toutes les réponses sont dans le bouquin. Un mot sur l'auteur : Pierre Evil, déjà responsable d'un livre sur le gangsta rap, n'est autre que Pierre-Yves Boquet, la plume officielle de François Hollande chargée de muscler le flow présidentiel. La prochaine étape de la collection " Sampler " sera Manchester. D'ici là, on s'écoute une jolie (re)découverte tirée du livre : Politicians in my eyes de Death, un groupe de protopunk noir dont la carrière n'a jamais décollé mais qui connait une seconde vie depuis que Drag City réédite leurs albums. Et des chouettes morceaux comme ça, il y en a un paquet dans Detroit Sampler.
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