Pêle-mêle sur une table : des synthés et des boîtes à rythmes qui ont bien vécu, des micros, des câbles, des pédales d'effets. Autour: un nuage de gosses qui veulent tout essayer, mais ont du mal à rester concentrés plus de dix minutes. En bout de table, des ordinateurs et une table de mixage. Audrey prend un micro, elle psalmodie le même refrain depuis plusieurs jours, Julien tient une ligne de basse inquiétante au clavier, on ajoute un rythme inventé la veille par Jibril.
La scène se passe en octobre dernier dans un service de soins et d'aide à l'intégration pour enfants autistes à Marseille. On accueille pour une semaine l'atelier musical d'Antoine Capet (éducateur spécialisé et musicien) et David Lemoine (chanteur de Cheveu, Noyade, Les Chœurs de la Mer Noire).
Au cours de ces sessions expérimentales, "on ne sait jamais ce qui va se passer, ce qui va prendre. Parfois ce sont les voix, parfois les enfants assimilent très vite le rythme, parfois on va être très dans le paysage sonore". David et Antoine laissent les enfants découvrir les instruments, leurs donnent quelques consignes de base (jeu du chef orchestre pour les diriger, gommettes de couleurs sur les touches des claviers), et les laissent improviser une musique cheap et intuitive.
Cet Atelier méditerranée est une initiative rare, dans un milieu fermé et souvent sur-protecteur. Educateur spécialisé pour autistes depuis une dizaine d'années, Antoine explique: "La musique est l'un des rares contextes qui permet de regarder ces enfants dits autistes sous un autre angle que celui du déficit. On est dans une approche où ce fait que la musique est bonne n'est pas une bonne technique mais le fait de se lâcher". C'est lui qui a proposé le projet à David en 2009, qui dit jalouser quelque chose chez les membres du collectif: "J'ai mis 5 ou 10 ans à arriver à un certain degré d’abstraction musicale, à toucher un truc un peu essentiel, une sorte de 'primal scream' de la musique, alors que ces enfants y arrivent en une semaine".
Chaque session donne lieu à l'enregistrement d'un disque : "On trouve que ça donne un crédit à notre démarche de dire que ça n’intéresse pas que les parents et les gens investis dans le monde du handicap. Si une petite partie du milieu de la noise, par exemple, aime le disque, ça veut dire que l'Atelier a un intérêt autre que pédagogique". D'où un 45 tours sorti chez Bruit Direct (Atelier de Saint-Ouen), un cd auto-produit à Marseille, et un disque mp3 tiré de l'Atelier de Bourges. Le résultat sonore de l'Atelier méditerranée varie du hip-hop bancal à une électro-noise simplement scotchante, avec des nappes et des répétitions, des cris et des incantations. "Beaucoup de gens auraient du mal à faire la différence entre les trucs les plus barrés de Cheveu ou Noyade et l'Atelier méditerranée. Ce qui prouve que l'intérêt est à la fois dans l’approche et dans le rendu."
Pour son étape marseillaise, l'Atelier a alterné les sessions avec des enfants (5-10 ans) et des ados (12-16 ans), qui ont enregistré 7 titres d'une musique sans attaches, que je qualifierais de toy-pop expérimentale. Je les ai suivis et filmés pendant une semaine. Le documentaire que j'en ai tiré s'appelle "La bulle du son". Il est en cours de montage et sera diffusé sur The Drone en juin.
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