Pas la peine de vous faire un dessin, n'est-ce pas ? Plus la peine de vous dérouler de nouveau les pénibles pelotes théoriques pour vous expliquer ce que l'art en général et la musique en particulier ont à gagner à travers les créations des esprits différents, autistes, handicapés mentaux ou handicapés psychiques, ni ce que nos âmes perpétuellement avides de nouveaux vertiges esthétiques ont à y découvrir ?

A tous ceux qui attendraient qu'on leur mette le pied à l'étrier, on rétorquera en tout cas que les meilleurs arguments sur le sujet s'entendent tous de manière limpide dans ce premier album des Harry's (et que ça tombe bien puisqu'il s'écoute en intégralité sous cet article) : l'invention sémantique, l'invention poétique, la brutalité, la finesse, le surréalisme, la douceur, la mélodieuseté, la tendresse, la violence, la froideur, l'empathie, le ressentiment, l'amour fou, l'amour tiède, la frustration, la volonté de puissance, la volonté de pioncer... Autant de bienfaits et d'attributs que le public mélomane le moins investi a pour habitude de mettre au crédit de ses disques de pop préférés.

Groupe emblème de cet attachant mouvement de l'underground expérimental francophone qu'on appelle ici ou là "brut pop" (et dont font partie deux autres groupes plusieurs fois évoqués ici: le Wild Classical Music Ensemble et L'Atelier Méditerranée), Les Harry's est formé par six jeunes autistes de l'hôpital de jour d'Antony (Alexandre, David, Nicolas, Jérôme, Sammy et Quentin) qui ont l'habitude de monter sur scène sans l'aide de personne mais dont les prises de parole sont largement permises et encouragées par Franq de Quengo (membre de Dragibus, co-fondateur de Sonic Protest, ex animateur de radio sur Radio Aligre et ex disquaire chez feu Bimbo Tower), l'éducatrice Anaële Vié et le psychologue et musicien Julien Bancilhon. Animateurs agitateurs depuis quelques temps de l'émission Radio Tisto (le verlan d'autiste, pour ceux qui suivent) sur Radio Libertaire, les Harry's jouent de la musique expérimentale au sens propre où personne, pas même eux, ne sait à l'avance où termineront les morceaux qu'ils entament, et militent sans s'en rendre compte pour les beautés irréelles qu'on y trouve et qu'on ne trouve nulle part ailleurs.

En écoutant GGOTS, premier album où ils sont accompagnés ponctuellement d'Adrien Kanter (Trésors), Emiko Ota (ae, Urban Sax, Mami Chan Band), Fantazio ou Anla Courtis des passionnants Reynols, il y'a donc de grandes chances que vous viennent en tête les voix idiosyncratiques de Henry Flynt, The Fall, This Heat, Pascal Comelade ou le No-Neck Blues Band. Si ça arrive, ne vous laissez pas trop déborder par la stupeur et tâchez d'apprécier le miracle pour ce qu'il est : un disque de musique d'autant plus belle, stimulante et mystérieuse qu'elle vient d'un endroit de l'âme où vous êtes vous même incapable d'aller chercher vos idées. N'oubliez pas non plus que Les Harry's se produiront sur scène demain soir aux Instants Chavirés de Montreuil aux côtés de Fantazio & Emiko Ota et Adrien Kanter.

Crédit photo: Hervé Goluza pour Sonic Protest