Plus qu'un festival qui aligne les têtes d'affiches, Nuits Sonores éditorialise sa programmation et raconte une histoire. Initié en 2003 par l'association Arty Farty pour stimuler le patrimoine urbain et culturel de la ville de Lyon, le festival propose chaque année au coeur du quartier des Confluences une sélection de musiques électroniques, rock et traditionnelles qui lui donnent un statut à part dans le paysage des festivals hexagonaux.
Historiquement composée de Violaine Didier, Jose Lagarellos et Pierre-Marie Oullion, l'équipe de programmation s'est récemment agrandi avec deux autres programmateurs dont Gaëtan Bouvachon, assistant de programmation au club Le Sucre et chez Arty Farty et gérant du disquaire Chez Emile. Cette triple casquette fait de lui une personnalité à suivre pour quiconque se prépare à chausser ses bottes de festivalier et s'embarquer pour cinq jours de déambulation dans Lyon, entre Rhône et Saône.
Nous nous sommes entretenu avec lui pour tâcher d'en apprendre un peu plus sur les aspirations du festival et sur la manière dont sa programmation fait passer les musiques électroniques au tamis des mutations du monde contemporain. Une interview qu'on vous propose de lire en musique avec le Dronecast concocté par Dr. Clayderman et Gaëtan Bouvachon qui s'écoute toujours sur nos pages.
L'une des particularités de Nuits Sonores est de proposer une programmation par thématiques. Comment vous procédez pour construire la programmation ?
À Nuits Sonores, on peut très bien commencer une soirée avec des groupes de rock (Bajram Bili, Ninos du Brasil feat. Mémoires d'Avenir...) et la terminer en écoutant de la techno (Powell, J-Zbel, James Holden). On pense davantage à des couleurs, qu'à des esthétiques. Pour la scène We Are Europe by Elevate Music & Arts du vendredi soir, on s'est axés sur les percussions et la transe en réfléchissant à des logiques de continents et de territoires. Mais on peut très bien construire des scènes seulement pour leur esthétique, comme la scène house du jeudi à l'Ancien Marché de Gros. On peut aussi créer une programmation autour d'un artiste qu'on pense important, comme Moderat autour duquel on fait venir plusieurs artistes qui représentent les différentes facettes de sa musique. La finalité est de trouver une cohérence pour le public.
Cette année, vous organisez une soirée queer. N'est-ce pas un peu étrange d'aborder cette culture comme un territoire au même titre que la house music ou l'Afrique ?
Le genre est encore une question très sensible dans la société et c'est aussi dans la démarche de Nuits Sonores d'aborder des thèmes qui font débat. On a discuté de ces sujets au forum European Lab en invitant Peaches et Chantal Lanuit à prendre la parole. Ouvrir le débat avec les artistes, c'est l'occasion de sortir du rapport formel entre artiste et programmateur. Ça fait quelque temps qu'on travaille sur la scène queer avec le collectif Plus Belle La Nuit qui organise les soirées Garçons Sauvages au Sucre. Le propre de la scène queer est de ne pas avoir d'esthétique musicale définie, on peut trouver des artistes avec une démarche queer aussi bien dans le hip-hop que dans la techno, le disco ou la pop. Ne pas avoir d'esthétique à respecter donne une grande liberté pour le programmateur, c'est très agréable. On a construit la soirée du jeudi à l'ancien Marché de gros (avec Peaches, Cakes Da Killa, L'homme seul, Horse Meat Disco...) autour d'une manière d'être au monde et de se comporter.
Opal - Ain't No Way [from Horse Meat Disco IV]
Comment envisages-tu l'édition de cette année par rapport à celle de l'année dernière ?
Je suis très content de la programmation cette année. On a pris plus de risques que les années précédentes en faisant venir des groupes moins connus du public. On propose aussi bien des artistes qui font l'unanimité (Laurent Garnier, Seth Troxler,
Motor City Drum Ensemble...) que des groupes moins connus des festivaliers (
Cakes Da Killa, Rrose, Fort Romeau...). La force de Nuits Sonores est d'avoir un public fidèle qui a confiance dans la direction artistique du festival, c'est ce qui nous permet d'être aussi libres.
Peux-tu m'expliquer comment le budget intervient dans la construction d'une programmation comme celle de cette année ?
La force de Nuits Sonores est d'être resté indépendant et exigeant depuis sa création. Au départ, c'est une volonté de la ville de Lyon de faire un festival de musiques actuelles qui dynamise la vie culturelle et économique de la ville. Aujourd'hui, le festival se finance à près de 80%, c'est très rare par rapport aux autres festivals français qui sont très dépendants des subventions des régions et des collectivités territoriales. Ce qui m'étonne de plus en plus, c'est l'augmentation du cachet des artistes. Je trouve ça légitime pour les jeunes artistes qui ont besoin de vivre de leur musique, mais cette tendance vient majoritairement des artistes connus et cela créé un système pervers : plus ton nom est imposant, plus ton cachet est élevé et plus tu as de concerts. Ce phénomène créé un monopole des gros artistes sur la programmation des festivals. Toujours aux dépens des artistes émergents ! En plus d'être un vrai problème pour les artistes indépendants ou en développement, ce n'est pas du tout dans la logique du festival. Mon travail au Sucre et à Nuits Sonores consiste en grande partie à connaître le prix que les gens vont vouloir payer pour voir leurs artistes préférés. Trouver un équilibre entre une programmation audacieuse tout en proposant au public le prix adéquat fait la complexité mais aussi le caractère passionnant de ce métier.
Nuits Sonores est un festival principalement axé sur les cultures électroniques. La notion est floue... Penses-tu qu'il soit toujours possible de dissocier la musique électronique des autres genres de musique aujourd'hui ?
Je préfère parler des musiques électroniques plutôt que la musique électronique comme si elle était un genre à part entière. Je pense que le propre de la musique est d'être diffusée partout et de se mélanger. Par exemple, on peut dire que la techno n'a jamais été aussi populaire qu'aujourd'hui. À ses débuts, elle apparaissait davantage dans les médias généralistes parce qu'elle choquait les gens. Mais aujourd'hui, c'est l'une des seules musiques à s'être créé ses propres médias et un réseau aussi fort. Elle n'a plus besoin des canaux mainstream pour faire parler d'elle. Son format a beaucoup joué en sa faveur, il est beaucoup plus libre et accessible que celui d'autres musiques qui nécessitent plus de matériel ou de connaissance. Je vois une nouvelle génération qui émerge et change les codes en ce moment, elle a une attitude beaucoup plus punk que ses prédécesseurs. Elle se réapproprie l'héritage des musiques électroniques avec sa propre histoire et les gens n'ont plus peur de sortir des clubs et de faire la fête dans des lieux insolites. Grâce à cette génération, les musiques électroniques se sont tellement popularisées qu'on a l'impression que ce qui est underground est en vérité super mainstream. Encore vouloir opposer underground et mainstream aujourd'hui n'a plus de sens pour moi.
Comment Nuits Sonores soutient-elle les artistes électroniques lyonnais ?Personnellement, je suis très engagé dans la promotion des jeunes artistes lyonnais. C'est un travail que j'effectue quotidiennement au
Sucre avec les promoteurs et avec mon disquaire
Chez Emile. La scène lyonnaise a pendant longtemps été tournée vers les musiques électroniques "
classiques" mais je sens un vent frais de nouveaux artistes qui arrive à Lyon et ça me donne encore plus envie de continuer dans cette démarche. Bien sûr, je garde toujours l'oeil ouvert sur ce qui se fait ailleurs : je suis de très près l'actualité musicale en Angleterre, c'est pour moi un pays qui a toujours été innovant dans la musique et qui le restera sans doute encore longtemps.
LCNH001 - V/A - Chalutier Du Havre (Distributed by Chez Emile)
BFDM003(repress) - J-Zbel - How I Made My Mom & Sis' My Sexbot Slaves (Distributed by Chez Emile)
CLFTREC010 - Binny - Shlaguance EP (Distributed by Chez Emile)
TPL004 - Juliano - This Must Be... (Distributed by Chez Emile)
SND001 - Tom Joyce - Diversions EP (Distributed by Chez Emile)
DAWN007 - Renart - De Bellvm Civile EP (Distributed by Chez Emile)
PALTRX001 - Palma - PALTRX001 (Distributed by Chez Emile)
A1 Diablo Verde (Live At Bordeaux)
A1 - Aries (Version originale)
A2 - Lost Memories (Version originale)
B1 - Kochi Winds Pt.1 (Version Originale)
B2 - Forest Of Thoughts (Version originale)
B2 - Journey To Forever - Snippet
Various Artists - The New Iram [SND002] 12''
A1- Shelter - Phonkie Music
B1- Shelter - Open The Door
Drvg Cvltvre - Icahn And Sister Code (Extrait)
Run X - Die Kraft Der Nacht (Extrait)
Chris Moss Acid / Umwelt - Rave Or Die 05
Où se trouve l'underground aujourd'hui selon toi ? Avec l'ampleur qu'a pris internet dans la diffusion de la musique, notamment grâce à des plateformes comme Soundcloud ou Bandcamp, on en vient parfois à se demander si les nouvelles scènes musicales sont toujours localisables.
Avant, on pouvait parler du son de Manchester, du son de Berlin, de Londres, de Cologne...Internet est en train d'éclater cette logique des scènes qu'on peut localiser. Mais paradoxalement, je pense qu'on peut toujours mettre son doigt sur une carte et parler du son de "là-bas", surtout dans l'hémisphère sud. Je suis fasciné par ce qu'il se passe autour du bassin méditérranéen et surtout par la résurgence de la musique des années 70 en Turquie et au Liban. Ces musiciens réinventent les musiques traditionnelles de leur pays en y apportant une influence européenne, c'est dément. Je sens un grand retour des années 70 dans la création actuelle. En élargissant plus, je dirais que la création dans l'hémisphère Sud n'a jamais été aussi innovante, surtout en Afrique et en Amérique latine. Récemment, j'ai eu un gros coup de coeur pour
Mikael Seifu et
Ethiopian Records, ces mecs sont en sont en train de réinventer l'éthio-jazz en s'inspirant de l'abstract hip-hop en y incorporant des composantes électroniques. En Amérique latine, la
Cumbia Digitale est aussi un mouvement assez bluffant. La musique de ces pays est en train de se réinventer car le modèle occidental de l'industrie de la musique n'est pas encore passé par là, une industrie existe mais elle ne s'intéresse pas aux musiques actuelles. Au Brésil par exemple, la grande majorité des gens n'écoutent que de la musique brésilienne. À la radio, il ne passera jamais du rock ou de la pop. Les nouvelles musiques de tous ces pays, c'est ça la musique du futur ! La programmation de Nuits Sonores s'ouvre progressivement aux musiques qui ne viennent pas d'Occident. Le souci est plus d'ordre pratique. Il nous est arrivé plusieurs fois d'annuler des concerts qui pouvaient poser des problèmes aux artistes une fois revenus dans leurs pays. On a parfois le sentiment d'être vite rattrapé par des problématiques géopolitiques qui nous dépassent.
Africaine 808 "Balla Balla" - Boiler Room Debuts
Cette année, Nuits Sonores a choisi de donner Carte Blanche à Séoul en invitant des artistes qui représentent sa scène underground. J'ai trouvé l'idée intéressante car Séoul représente beaucoup d'exotisme en Europe mais a aussi un versant très mainstream au travers de la K-Pop ou de Gangnam Style. Pourquoi avoir choisi cette ville ?
Chaque année, on se demande quelle ville est en train d'apporter de la valeur ajoutée aux musiques électroniques. À l'occasion de l'année France-Corée et de notre partenariat avec l'Institut Français, on nous a proposé de représenter Séoul. Ce choix s'est donc un peu fait par hasard. On a découvert que la scène underground là-bas est beaucoup plus proche de l'Europe que ce qu'on peut imaginer. Il y a beaucoup d'artistes influencés par le hip-hop, mais aussi par le rock... Et il ne faut surtout pas leur parler de K-Pop ! Pour eux, la K-Pop représente la déchéance de leur pays. On voulait montrer la scène de Séoul sous un autre versant. Les amateurs de musique connaissent bien les scènes nippones noise, rock et house mais l'underground en Corée reste méconnu.
[온스테이지] 163. 숨 - Passing Rain
05:47
Serait-ce un objectif pour Nuits Sonores d'attirer un public qui vienne de loin ?
Le public de Nuits Sonores est majoritairement Français mais la fréquentation du public étranger augmente d'année en année. En revanche, la reconnaissance des médias européens et internationaux n'est plus à faire. On travaille beaucoup notre réseau avec le forum European Lab et le partenariat avec l'Institut Français qui se charge de faire venir des professionnels (managers, promoteurs, patrons de labels...) étrangers au festival. Ceci dit, nous n'avons pas pour souhait de grossir et de devenir un énorme festival qui attire des milliers de visiteurs de tous les pays. Nuits Sonores est avant tout un festival pour les Lyonnais, c'est l'ADN du festival.
Tu penses quoi des festivals comme Les Siestes Électroniques qui dévoilent leur programmation à la dernière minute ?
On pourrait le faire. Mais pour nous la programmation est un contenu parmi d'autres. C'est le but ultime d'un programmateur d'avoir une liberté totale sur la programmation en sachant que le public restera fidèle peu importe la programmation. Je pense aussi que le "
secret lineup" est très à la mode. On l'a fait pour les dix ans sur une scène et tout le monde était très enthousiaste. Je trouve l'idée de dévoiler sa programmation à la dernière minute intéressante car ça veut dire que le festival a plus de poids que sa programmation. La logique de Nuits Sonores est d'écrire les noms de tous les artistes à la même taille, aucun artiste n'est mis en avant plus qu'un autre. Pendant le festival, des artistes lyonnais font trois heures de set sur la même scène que des artistes connus à l'international, c'est ça la logique de Nuits Sonores.
Nuits Sonores se déroule à Lyon du 4 au 8 mai, achetez vos places
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