Comme on est plutôt du genre à vouloir placer des dénominateurs communs un peu partout, on n'a pas pu s'empêcher de noter récemment que la tendance des soirées parisiennes (et d'ailleurs) penchait de plus en plus vers l'entre-soi et la tape sur l'épaule entre voisins de palier. Mais si ce réseau plus ou moins DIY peut parfois macérer et donner des trucs pas très fertiles et un peu consanguins, ce phénomène existe aussi en prenant, d'un côté, le pouls d'une offre culturelle précarisée (face à la crise, on se serre les coudes en montant soi-même sa propre tambouille) et de l'autre, en agissant comme bouclier face à des espaces de plus en plus impersonnels et où personne ne se sent vraiment chez soi - ce qui est un comble pour un espace de convivialité.
Que ce soit les soirées Champ Libre et leur "exclusivité inclusive", des concerts qui se montent de plus en plus dans des grosses maisons en banlieue, ou encore, entre autres, la multiplication des soirées exclusivement queer dans la capitale, on y sent un esprit de plus en plus communautaire, qu'il soit conscient ou non, politisé ou simplement pragmatique.
Nicolas Chiacchierini, lui, qui monte en ce moment la première édition du Beau Festival, est un peu à la croisée de ces chemins - ni ouvertement politisé, mais résolument rassembleur et ancré géographiquement dans son approche. Programmateur à l'espace B pendant l'année, lassé de trop voir des groupes qui ne lui plaisent qu'à moitié et soucieux de réunir ses coups de cœur dans le même sac, il a donc monté entièrement seul le Beau Festival, et a choisi de programmer de la pop façon bel ouvrage d'ici et d'ailleurs. La première édition qui commence la semaine prochaine, comprendra notamment Laetitia Sadier, The Holydrug Couple, Mammane Sani, Syd Kemp, Biche ou Mohamed Lamouri. Une manière de dire que c'est parfois par un individualisme forcené que l'on peut vraiment prendre des risques.
"Le beau est ce qui ne sert à rien", sujet du bac de philo coincé dans une cellule grise de mon cerveau. Alors dis nous quelle est ta volonté avec ce festival, ses choix de lieux et de programmations ?
Nicolas Chiacchierini : "Le Beau Festival ne sert à rien", ça ferait une super accroche ! On y pensera pour l'année prochaine. Non plus sérieusement, l'envie derrière ce festival vient d'une frustration que j'ai en étant programmateur à l'Espace B. C'est un job formidable qui me permet de découvrir pleins de groupes mais on fait 20 concerts par mois donc forcément dans le lot il y a des projets que j'aime et d'autres que j'aime moins. Là je veux proposer quelque chose de plus personnel et cohérent, qui reflète vraiment mes goûts, tout en ayant une vraie diversité que ça soit dans les styles ou dans l'origine des artistes. C'est vraiment l'idée de se concentrer sur trois jours et pouvoir dire "tous ces groupes défoncent, je cautionne tout à 100%". Une programmation de salle à l'année c'est diffus, ça part dans plein de directions, là on a un événement qui se suffit à lui-même, c'est une affiche, c'est simple et c'est beau. Pour les lieux on a eu envie de se cantonner au 19e parce que pour moi c'est le plus beau quartier de Paris. Tu as des endroits évidents comme les Buttes Chaumont, la Villette ou le canal de l'Ourcq, mais aussi des trucs plus cachés comme La Station (qui est officiellement dans le 18e, mais pour moi la porte d'Aubervilliers c'est le 19e) ou l'Espace B. C'était important d'avoir une contrainte géographique pour la cohérence du festival, et en choisissant le 19e on se laisse quand même pas mal de liberté pour évoluer.
Paris est envahi de festivals mastodontes, de grosses marques type Lollapalooza ou Download qui débarquent en France. Comment on se sent face à cette évolution quand on monte un évènement à taille humaine ?
Personnellement je suis agoraphobe donc les gros festivals comme ça je ne peux pas du tout. Je trouve que le public y est mal accueilli et que le son est nul, tout est trop cher. Tu es matraqué de pub dans tous les sens, une marque de bière ici, une banque là... C'est l'enfer. Après je suis quand même optimiste parce qu'on a énormément de plus petits événements, à taille humaine comme tu dis, qui se montent un peu partout. Pour moi l'exemple parfait c'est le festival Beaches Brew début juin en Italie, j'y vais depuis 3 ans. Tout est gratuit et la programmation est super pointue, je dirais qu'il y a 2000 personnes max. À Nantes depuis au moins 15 ans il y a le festival Soy, à Paris tu as la Villette Sonique, le MOFO, et des dizaines d'autres festivals qui proposent des belles choses avec des vraies têtes d'affiche sans rentrer dans le divertissement de masse. Pour Le Beau festival, je pense que la différence radicale c'est qu'on veut dépasser des questions de rentabilité qui peuvent vite t'étouffer quand tu organises un événement à petite échelle ou que tu as une structure indépendante quelle qu'elle soit. Je produis tout le festival et je n'ai de compte à rendre à personne, c'est assez agréable. Si l'événement n'est pas rentable tant pis, personne ne me tombera dessus.
L'accent est mis sur la scène française. Par faute de moyens ou vraie envie ? Quel regard portes-tu sur l'effervescence actuelle autour de l'utilisation du français dans la musique ?
Je suis pas vraiment d'accord sur l'accent mis sur la scène française. Si tu regardes l'affiche il y a beaucoup d'artistes qui ne sont pas français et notamment en haut, The Holydrug Couple, Mammane Sani, Novella... Et dans les artistes français il y a aussi beaucoup de mélanges : Laetitia Sadier est franco/anglaise, Mohamed Lamouri est franco/algérien et Cosmo Sonic est un duo franco/suédois. Plus que de mettre l'accent sur la scène française je dirais que la vraie envie c'était de mettre en avant une diversité en invitant des artistes qui viennent de différents endroits du monde. Je trouve que les festivals ont tendance à matraquer des têtes d'affiche américaines ou anglo saxonnes et c'est vraiment dommage. Après tu as raison, il y a une vraie effervescence sur le français aujourd'hui, et je trouve que c'est une bonne chose. Je suis super fier d'avoir des artistes comme Biche ou La Mirastella sur le festival parce que leur écriture est très juste. Mais comme dans tout effet de mode il y a aussi des écueils évidemment. Et il faudrait pas résumer ça à une question anglais / français, par exemple l'espagnol est une super belle langue et Solo Astra s'en servent très bien justement. L'Arabe c'est magnifique, la preuve avec Mohamed Lamouri.
Tu peux nous dire quel est l'artiste que tu attends le plus et pourquoi ? Et celui que tu n'as pas réussi à avoir ?
Allez je vais dire Mammane Sani même si j'ai aussi énormément d'attente par rapport à Laetitia Sadier, Syd Kemp, Novella ou Solo Astra. C'est un peu l'outsider du festival, sa musique est à la fois super étrange et super belle. Et surtout je pense que ça va en déstabiliser plus d'un de le voir tout seul derrière son clavier jouer des chansons berbères adaptées à l'orgue électrique. Ça ne laissera personne indifférent. L'artiste que j'ai pas réussi à avoir... Il y en a plein, mais ma plus grosse déception c'est Infinite Bisous que j'ai adoré à l'Espace B en janvier. On avait parlé du festival ensemble et il était ok mais finalement son claviériste n'était pas dispo. Vraiment dommage d'autant plus que l'album qu'il vient de sortir est terrible, exactement ce que j'aurais aimé programmer. J'espère que ça se fera la prochaine fois. Sinon l'artiste que je dois absolument faire jouer, même si c'est dans 10 ans, c'est Frankie Cosmos. Je peux sereinement dire que c'était le plus beau concert que j'ai organisé depuis que je travaille à l'Espace B. Elle vient de signer sur Sub Pop après deux albums incroyables de pop lofi légère et belle.
Un morceau d'un artiste non programmé cette année qui résumerait l'état d'esprit du Beau Festival ?
J'ai le droit d'en donner deux ? Si oui je donne déjà "Nuit Brésilienne" de Christophe Laurent, je connais rien de ce mec mais j'ai son refrain "Nuit Brésilienne en plein Paris c'était la folie" dans la tête depuis 2 semaines. Si je devais en donner qu'une ça serait Léger Léger de Julien Gasc. Ca reflète exactement l'esprit du Beau Festival, la légèreté, l'insouciance. Dans le clip il fait du skate à Toulouse en T-Shirt, et c'est à peu près tout, pas de prise de tête, pas de concept super chiant. Les paroles sont sensuelles et belles. On nous a tellement pris la tête avec les élections ces dernières semaines / mois, je pense que globalement les gens en peuvent plus, il est temps de revenir à quelque chose de plus léger, et le Beau Festival est là pour ça.
Le Beau Festival commence la semaine prochaine entre la Station - Gare des Mines et l'Espace B. Toutes les informations sont disponibles ici.
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