Créé en 1996 par Gilbert Cohen (alias DJ Gilb'R), le label Versatile est apparu avec la French Touch et l’explosion par chez nous de la scène house et techno. Gilbert officiait alors à Radio Nova, en même temps que Laurent Garnier et David Guetta (qui avait encore un peu de lucidité) et Versatile partageait ses bureaux avec les Daft Punk (qui aidèrent au lancement du label en remixant un titre de I:Cube, récemment réédité.)
Du premier hit Venus par Sunshine Underground (1996) jusqu’au mix du premier album d’Etienne Jaumet, Night Music (2009), par l'un des pères fondateurs de la techno de Détroit, Carl Craig, le fil rouge de Versatile a toujours été la musique de nuit et de danse. Il s’est cependant largement diversifié et a exploré d’autres genres musicaux (krautrock, pop), en accord avec la polyvalence et l’esprit de curiosité qu’implique son nom même. Abritant notamment Arnaud Rebotini, Dj Gregory, Osunlade, Peter Kruder, Juan Mc Lean, DJ Koze, Roman Fluegel ou Prins Thomas, et surtout les permanents I:Cube, Chateau Flight, Joakim, Zombie Zombie et Etienne Jaumet), Versatile a su imposer sa vision originale de la musique, à la fois ouverte et exigeante, fun et spirituelle, unique en son genre.
Versatile soufflera ses 20 bougies cette année pendant le festival Villette Sonique dans le parc de la Villette, avec une nuit de fête au Cabaret Sauvage, une scène au Jardin des Îles en forme de rave dominicale et la programmation du Red Bull Boombus sur une journée. La maison fondée par Gilb’R offrira un aperçu de son éclectisme en invitant ses poulains historiques (Zombie Zombie, Acid Arab, Etienne Jaumet), des amis de longue date (Smith N Hack, Cray76 aka Joakim, MarK Ernestus) et des jeunes pousses inspirées par l’esprit du label parisien (Domenique Dumont, Funkineven).
Pour pousser l’expérience plus loin et illustrer la créativité de ses membres, le label sort aujourd’hui un EP inédit enregistré en résidence aux Red Bull Studios de Paris avec ses piliers et des invités de marque (Gilb’R, Etienne Jaumet, Emmanuelle Parrenin, Arnaud Roulin, Eat Gas), qu’on peut écouter tout en bas de cette colonne de questions au taulier, Gilbert Cohen. Every day is a birth day, happy every day, Versatile.
Salut Gilbert, ça te fait quoi de fêter les 20 ans du label ? Quels sentiments (fierté, contentement, fatigue) ?
Principalement de la surprise à vrai dire. Jamais, en commençant, je (nous) n'aurais pensé être là 20 ans après. De plus, c'est l'année (2016) où nous avons le plus de sorties, alors qu'il m'est arrivé par le passé de ne pas savoir ce que j'allais sortir, et donc du coup ne rien sortir pendant deux mois. Fierté un peu aussi, mais plus une fierté collective, car chacun a su se renouveler sans se reposer, non pas sur ses lauriers, mais sur ses acquis. Pas de fatigue encore. Je me considère comme extrêmement chanceux de vivre de ma passion et de faire en sorte que tous les artistes en vivent aussi, plus ou moins bien.
Comment expliques-tu cette longévité ? Est-ce en partie lié au fait que les membres du label soient amis entre eux ? Ou justement à ton rôle de catalyseur, de fil rouge, de boss ?
Je ne crois pas que le lien amical ait à voir avec la longévité de Versatile. Beaucoup de dévouement de la part de tout le monde. Je pense à Ygal (ex label manager) qui a supporté mes gueulantes et qui m'a aidé pendant tant d'années. Mais aussi aux artistes bien sûr. Nous avons une relation solide basée sur un réel respect et en effet une tendre amitié. Je dirais plus la curiosité : c'est ça qui a été mon moteur pendant toutes ces années. Tout le monde se fait tout le temps découvrir de la nouvelle musique. Et aussi, en étant DJ, ça m'a permis de rester connecté avec les nouveaux artistes. Après, c'est clair que c'est moi qui le taulier, celui et qui envoie suffisamment d'énergie pour que ça tienne. Et il y a eu des moments difficiles…
Comment Versatile a-t- il survécu à la crise de l’industrie discographique ? Grâce à d’autres activités ? Une production parcimonieuse ? A la variété de ses propositions musicales ?
A un moment, j'ai dû mettre tout le monde sur le trottoir, au Père Lachaise, on n’avait pas le choix… Plus sérieusement, pour survivre il faut s'adapter. Et j'ai une certaine abilité à ça. Quand j'ai des thunes, je les dépense et quand j’en ai pas, je fais gaffe. Après, il y a toujours la petite synchro qui arrive à point nommé, Lady Gaga qui sample Zombie Zombie, etc. Je pense que la pugnacité n'est pas étrangère à ça. Et aussi, j'ai toujours fait en sorte que nous soyons indépendants le plus possible : on a notre propre studio, pas de goûts de luxe, et aussi j'espère une production intéressante qui fait que (c'est une force et une faiblesse à la fois) les gens ne savent pas à quoi s'attendre pour la prochaine sortie. Je crois que si j'avais creusé dans le même sillon qu'au début, nous aurions disparu.
Versatile est le dernier label « rescapé » de la french-touch, finalement. Que reste-t- il de ces années et de l’esprit de ces années chez Versatile ?
Un ami à moi avait trouvé « french touch survivor »... Maintenant, qu'en reste-t- il ? Bah pas grand- chose à vrai dire. Des souvenirs éventuellement. Je ne me suis jamais senti faire partie d'aucun mouvement, d'aucune scène. D'ailleurs, en tant que DJ je suis passé par plein de phases. Et j'aime à croire qu'aujourd'hui, je suis plus proche de ce que je suis, au niveau de la production mais surtout au niveau du dj'ing : finalement, j'ai toujours été assez « généraliste ». A mes débuts, je jouais les Doors et Tito Puente dans le même set. Hé bien aujourd'hui, c'est la même chose, mais en beaucoup plus pointu… J'avance toujours par découvertes et ces découvertes, je les dois à mes amis dj's qui inlassablement recherchent, farfouillent, et partagent.
Une anecdote, un souvenir marquant dans l’histoire du label ?
Au tout début, je bossais avec la mère de mes enfants (Isabelle) et mon frère (Didier). On avait donc un rapport très direct, sans aucun filtre. On pouvait se gueuler dessus comme ça. Et bossait au label un mec dont j'ai oublié le nom, qui venait de Dijon. Et quotidiennement, il assistait à ce psychodrame familial, un peu halluciné. Un jour le gars a craqué, et il est parti du jour au lendemain sans crier gare… J'ai appris par la suite qu'il était parti bosser dans un cirque…
Villette Sonique, c’est un rendez-vous important pour toi ? Tu as des souvenirs marquants du festival ?
Je suis ravi que nous fassions notre anniversaire là-bas, ça nous correspond assez bien, l'esprit indie. Des souvenirs ? Le dj set avec Joakim en back to back il y a des années avec un son de malade, l'impression de conduire une grosse cylindrée, un de mes meilleurs souvenirs de dj. Et puis aussi, bien sûr, juste après ce back to back dantesque, le tout 1er live d'I:Cube, absolument magique.
Veux-tu dire quelques mots affectueux sur les artistes présents pour cet anniversaire ?
Je les connais tous très bien, je les aime tous, je les trouve tous très talentueux, aventureux, tous drôle chacun à leur manière. Ce sont eux mon moteur. Rien ne m'excite plus que de voir dans ma boite mail un nouveau morceau qu'ils m'envoient. Mais je voudrais surtout parler d'un absent (au festival) : I:Cube. Ma première signature, mon mentor en production, mon partenaire au sein de Château Flight. Tellement de temps passé ensemble en studio ou sur la route. Je considère Nicolas comme la quintessence de ce qu'est un artiste. Intègre, tourmenté, à la recherche de je ne sais quoi. Ce n'est d'ailleurs peut-être pas par hasard si ce fut le premier à bord… et 20 ans après, il est toujours présent, mais d'une autre manière que de faire le zozo comme moi derrière des platines. Concentré sur son art. Et force est de constater que, 20 ans après, le mec est à son zénith. On va représenter anyway.
Tu vas jouer en B2B avec Young Marco. Tu veux bien le présenter également ? Et comment se passe un dj set comme ça ? Vous vous concertez avant, vous préparez ensemble, ou chacun vient avec plein de disques ?
Alors j'ai rencontré Marco à Düsseldorf, au Salon des amateurs où nous jouions. J'ai commencé et j'étais un peu crevé, alors je suis parti juste après mon set. Le lendemain matin, coup de fil à l'hôtel, c'est Marco : « Excuse-moi, mais par hasard, tu n'aurais pas embarqué des disques à moi dans ton sac ? » Moi : « Euh, je ne crois pas, salut. » Par acquis de conscience, je regarde, et en fait, en effet, j'ai compressé un paquet de disques en plus, qui ne sont manifestement pas à moi. Je check : que des bombes obscures de musique africaine... Je l'ai rappelé et ensuite il m'a invité à jouer à nouveau avec lui à Amsterdam et Rotterdam. Depuis, j'habite à Amsterdam et nous sommes devenus amis. Il m'a introduit à toute la scène ici. Notre réel fait d'arme est un back to back au Lente Kabinet : une résurgence païenne. Du stage-diving à Amsterdam, je n'avais jamais vu ça (le set est en ligne, mais il ne rend pas justice, c'est pour ça que je n’aime pas trop que mes sets soient enregistrés : il manque une dimension). Sinon, pour répondre à ta question, on ne se concerte pas (avant). Mais on s'écoute.
Enfin, quelques mots sur le disque enregistré au studio Red Bull ? Je ne l’ai pas écouté encore mais je l’imagine vraiment comme une synthèse de ce qui caractérise le label, son éclectisme, avec ses fondations disco-house (toi), et ses développements plus rock, kraut ou psyché (Zombie Zombie, Emmannuelle Parrenin, Eat Gas…).
Nous ne nous sommes pas dit : « Toi disco, moi kraut ». Mais plus : « On vient les mains des poches, dans un fat studio, avec des instruments avec lesquels nous ne jouons pas d'ordinaire (pour ma part, un marimba), et avec des invités de marque (Emmanuelle Parrenin, Arnaud Roulin, Eat Gas). » Et le résultat est là (mixé par l'absent/présent, à l'oreillette).
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