I:Cube ou les joies complexes de l'outsider contraint. Découvert en pleine phase ascendante de la French Touch, quand les vendeurs-mousquetaires du Rough Trade de la rue de Charonne squattaient simultanément les studios parisiens, les colonnes de Magic, les couloirs de Nova et la machine à café de Virgin, le gamin Nicolas Chaix a tout de suite choisi la tare: refuser d'emblée de devenir, à l'instar de Zdar ou Daft Punk, un trésor national.
Après deux maxis naïvement normés selon le programme officiel de la disco house filtrée et auréolés de l'accessoire chic ultime du music business d'alors (un remix de Daft Punk), cet autodidacte précoce de la chose techno éduqué à la rareté et à la radio a bu de l'eau fraîche, fait un premier pas de côté et a tout de suite tenté d'imposer sa propre règle du jeu, faite de cloisons renversées et d'appetits extraordinaires pour tout ce qui faisait la singularité de la French Touch d'alors (érudition, moteurs à découvert, grands détournements) et surtout bien, bien plus encore (ambient poignant, échos de Detroit, duretés techno).
Grand bien lui en a pris, Picnic Attack fut un classique instantané et un grand bol d'air frais pour la French Touch à une époque où personne encore n'avait réalisé que l'air était effectivement en train de se raréfier. Seul souci pour le sabotage, la présence sur le disque de samples rare groove, de sentences ironiques et - malgré tout - d'une poignée de tourneries discoïdes achevait de sceller la méprise et un joli petit succès. Rebelote deux ans plus tard avec Adore et sa pochette en monochrome flashy: Chaix l'apprenti-sorcier ambitionnait de nous plonger sous la mer avec le disque de house le plus deep de la création mais il aura surtout percé, via les compils Hotel Costes, chez les amateurs avachis de lounge music. Parlez en à Matthew Herbert, Ark ou Pépé Bradock: l'adoubement lounge, c'est quasiment la pire chose qui peut arriver à l'esthète house.
Contrit mais pas à terre, Chaix a fait la seule chose qu'il lui restait à faire: continué son bonhomme de chemin, à son rythme (escargot) et selon ses règles (exigentes). Seul ou avec son mentor de toujours, Gilb'R, au sein de l'usine rare groove Chateau Flight, I:Cube a pris la tangente, longeant le maquis sans jamais y poser un pied, égrénant surtout quelques disques rares et formidables (Live at the Planetarium, 3) et nouant avec ses fidèles une sorte de pacte amoureux, devenant le producteur préféré de tous ceux que les épisodes jusqu'aux plus sordides de l'histoire de la dance music française n'auront pas dégouté de ses lamentables excès nouveaux-riches. Eux et quelques autres ont eu raison de continuer à espérer: le M-Megamix qu'il consent à livrer après 9 ans de silence (relatif) n'est pas un album, c'est une somme, une déclaration, un énorme reset proposé non seulement à la musique électronique parisienne mais à la dance music mondiale et un voyage formidable dans un beau, gros cerveau qui pourrait aussi bien être celui de tous les aficionados house autour du monde.
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