Le label Born Bad, qui s'apprête à fêter ses 10 ans, a de nouveau trouvé un drôle d'animal. Cannibale, quintet de quarantenaires normands partis à la conquête du disque parfait plutôt que du plan marketing parfait, étonne par un son et une approche mélodique toutes personnelles. Baigné par la musique éthiopienne, sud-américaine et caribéenne, ce rock garage (car crade et chaleureux) brille aussi par son talent de songwriting. Passés par de nombreux groupes, les cases tremplins, éditions en major et autres déconfitures du business actuel, cette dernière séance semble être la bonne pour Cannibale, étrange opposé de la démarche récente d'autres quarantenaires beaucoup plus branchés, Poni Hoax, dont on vous parlait récemment. Cependant, il y a fort à parier que le disque qui restera dans les annales ne soit pas le disque sur lequel vous auriez parié. No Mercy for Love, ou le chaînon manquant entre The Doors, Mulatu Astatke et Jonathan Fire Eater, nous a été conté par ses auteurs ci-dessous.
Comment vous êtes vous retrouvés à près de 40 ans à former un nouveau groupe de rock ? Vous vous sentez moins naïfs ?
Nicolas (guitare) : Nous deux on s'est jamais quittés, on a toujours travaillé ensemble. Il nous fallait un nouveau projet pour retrouver de l'énergie, de l'envie. On est moins concentrés sur l'aspect professionnel et plus sur la musique. Au bout d'un moment à force de vouloir rentrer dans une forteresse qui est complètement fermée, on a l'impression d'être des moins que riens qui grattent à la porte. Donc au bout d'un moment on s'est juste concentré sur la musique. On a eu la chance de trouver Born Bad sur ce chemin qui gère tout pour nous, on est donc beaucoup plus apaisés.
Vous vivez dans un petit hameau, comment s'est présenté cette deuxième vie ?
N : C'est justement parce qu'on vit à la campagne (Dans l'Aigle, en Normandie) qu'on vit dans des grands espaces et sans trop de besoins qu'on a pu travailler et enregistrer comme ça. Ce n'est pas du storytelling, on a grandi ici. On vit avec nos familles, nos enfants. C'est un environnement propice à la création. Mais de toute façon j'ai rien à ajouter là-dessus. On le sait que ça ne marche pas le storytelling, les fringues, le discours médiatique. Ca fonctionne peut-être pour certains petits jeunes à la mode, mais pas pour nous, on ne va pas faire semblant et s'inventer une vie...
Pour parler musique justement le clavier joue un rôle prépondérant dans votre disque. Comment est née cette idée ?
N : C'est moi qui écrit toute la musique. Même si je suis guitariste, le trop de guitares m'emmerde. Pour moi, le squelette c'est le basse-batterie. L'orgue avec des effets est parfait pour mettre en place des ambiances. On est très inspirés par The Doors. A cette époque, fin 60's, le son des disques est super. Mais je ne suis pas dans une optique de travail de studio. Je me sens libre de toutes contraintes.
Il y a des partis pris assez forts sur la production, avec des saturations, un côté crade.
N : J'ai tout enregistré avec un seul micro et un ordinateur. Quand tu vas en studio, tu as toujours le même son, tous les ingés sons sortent de la même école, tout est calibré pareil. J'ai essayé de mon côté d'avoir une vraie proposition artistique. C'est la musique qui colore le son, pas l'inverse. On a bossé en studio mais ça coûte tellement cher. Et puis tu te retrouves à faire des pré-prods qui sont supers, tu vas en studio, et ils salopent tout. Donc autant bosser tout seul à la maison.
J'ai lu que les musiciens qui vous accompagnent, sont aussi musiciens de sessions, certains pour Johnny ou Camille Bazbaz. Ce n'est pas contradictoire cette position d'ascète que vous tenez et le fait de jouer vos compositions avec des mercenaires, en quelque sorte ?
N : Bah non parce que ce sont nos potes. Quand tu es musicien tu choisis. Soit tu donnes tout à ta musique, soit à celle des autres. Mais on ne juge pas ça du tout. On a des enfants à nourrir nous aussi, il faut faire des concessions.
Une bonne parabole du cannibalisme c'est la façon dont on absorbe/dévore la musique des autres. Justement à ce stade de votre vie de musicien, vos influences sont mieux digérées ? Vous découvrez encore des choses qui vous poussent ?
N : Heureusement qu'on est encore épatés, par de vieilles choses qu'on ne connait pas encore et par des groupes récents aussi. On est en recherche permanente mais avec le temps notre démarche se précise. Mais la façon dont on arrive à créer des titres n'est pas clair. On ne peut pas intellectualiser ce qu'on fait.
Manuel (chanteur) : On a été influencés par la musique des Caraïbes, d'Afrique de l'Ouest de la fin des années 60. Le son sur ces disques est magnifique.
N: Il y a quelque chose d'exotique dans notre musique. Il y a une dimension visuelle très forte . On fantasme les tropiques à notre manière. Et puis quelque part on cherche de l'exotisme là où on est. C'est pas parce qu'on est en France, en Normandie, qu'on se doit de revendiquer une appartenance à un patrimoine culturel local. On revendique notre identité mais on absorbe et revomit toute la musique qu'on écoute et qu'on aime.
No Mercy For Love est disponible via Bandcamp.
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