On n’avait pas eu de nouvelles de François Virot en solo depuis son premier album Yes or No en 2008, quand cette petite bouille rieuse venue de la scène des squats (Ground Zero à Lyon puis consorts hexagonaux) avait retrouvé sa pop-folk lo-fi et sauvageonne propulsée dans les canards culturels et les salles de concerts à 4€ le demi (une hérésie), traqué comme un Animal Collective à lui tout seul. Rôle et fardeau un peu trop lourds pour le jeune homme, pour qui la sincérité n’était pas une posture et qui s’est vite entouré de gardes rapprochées et amicales, à savoir les groupes Réveille et Clara Clara (le concassage math-noise Comfortable Problems en 2010, le superbe Bugarach en 2016), où il pouvait se planquer derrière une batterie désarticulée ou hurler de concert aux étoiles.
Le label qui l’avait ainsi porté dans les nuées, Clapping Music, ayant récemment mis la clé sous la porte, François Virot se retrouve avec sa désormais belle expérience signé sur Born Bad, qui sort donc ce deuxième "long awaited" album solo, une jolie palanquée de tubes pop anglophones, alliant les joyeusetés lo-fi (Wave Pictures, 49 Americans) aux virtuosités indie (Chris Cohen, Pavement) : basses bondissantes, guitares malkmusiennes, enrobant le chant haut-gamin de Virot sur des rythmiques intempestives, retombant toujours sur des pieds inattendus (les morceaux s’étant généralement construits à partir des batteries).
Avec sa naïve et colorée partouze de flics illustrant joliment la pochette (faite par le duo d’artistes Hippolyte Hentgen), ce Marginal Spots a donné un peu de chaleur à l’hiver, et devrait ravir votre printemps. On a interviewé le garçon dans la cabine de douche-fumoir des loges d’une salle de concert montreuilloise, à l’occasion de la sortie d’un nouveau clip, illustrant "Doin’ it now", façon âge de fer. Âge de faire ?
Ce nouvel album est bien plus mélodique, pop, que tout ce que tu as pu faire jusqu’alors. Il a un côté "college radio" des années 1980-1990 (Weezer, Feelies) et en même temps le côté DIY de la scène d’Olympia (K-Records, Calvin Johnson, Dub Narcotic Studio)…
François Virot : Je me suis mis à la pop hyper tard. Quand j’étais jeune, j’écoutais plutôt du métal, puis du hardcore, du punk, et ensuite des groupes comme The Ex, qui étaient quasiment pour moi un accès à la pop, aux mélodies, à d’autres rythmes aussi. Et ensuite j’ai écouté Pavement. Pas trop Weezer, ni les Feelies. J’aimais bien Pavement pour l’attitude, le côté slacker. Maintenant, Malkmus joue hyper bien, alors qu’à l’époque, il galérait un peu, c’était plus fragile, émouvant. Mais je suis toujours content de l’écouter, même s’il y a moins d’avalanche de tubes.
Ta musique sonne très américaine. Du coup, tu fais un peu Mac DeMarco français, toi-même.
Je me sens vraiment plus proche de Pavement, ou de cet album des Breeders, Title TK, qui est complétement foireux, avec des espèces de montées bizarres, qui se terminent avec la basse qui disparait soudainement, complétement imprévisible, très beau. Je me souviens qu’on écoutait ça récemment, juste après le dernier Mac DeMarco, et on se disait "Wow !" : la comparaison était complétement inutile. Et j’admire Steve Albini pour oser des choses comme ça, un album indie pop avec plein de silences, avec des coups de cymbales qui ne sortent de nulle part, au beau milieu d’une chanson. Je pense n’avoir jamais accroché sur Mac Demarco, surtout à cause de la prod’ avec trop d'effets, surtout du chorus. Je ne suis pas très chorus…
Il y a ce morceau, "Tour de Force", qui est très étonnant, un peu reggae, entre les premiers Police, le Rastakraut Pasta de Moebius & Plank, ou Scritti Politi. Comment l’as-tu composé ?
Ce n’était pas censé être un morceau reggae : j’avais commencé en enregistrant une batterie, sur laquelle j’ai fait les arrangements et la voix. Puis j’ai enlevé la batterie initiale, que j’ai remplacée par une percussion. C’était un peu n’importe quoi mais le résultat est cool. Lauphi (du Confort Moderne à Poitiers) trouvait que ça ressemblait à un morceau des Young Marble Giants. Et après coup, effectivement, il y a de ça, avec les rythmiques qui s'intercalent dans les silences. Et c’est sans doute le chant, un peu dans les médiums, qui fait penser à Police, que je ne connaissais pas vraiment. Du coup j’ai écouté et j’ai trouvé le son, la production, super. Et j’aime bien Rastakraut Pasta, oui.
Comment en es-tu venu à composer ces nouvelles sortes de chansons ?
Ça faisait quelques années que mon projet solo était un peu mis de côté, puisque je faisais beaucoup de choses avec les autres projets, Réveille et Clara Clara. Donc, quand j’ai recommencé à composer pour moi, je n’avais plus de cadre, et ça m’a fait beaucoup de bien : j’étais seul dans le studio, je pouvais vraiment faire ce que je voulais. Il ne s’agissait même pas forcément de refaire un disque, mais de jouer, d’essayer et d’enregistrer des trucs. Je suis parti des batteries. Je faisais des tours de batterie en studio, j’en faisais plein, j’enregistrais tout, je modifiais ensuite. Même des trucs très simples, pour la première fois, souvent. Je n’avais jamais fait ce que je fais sur "Doin’ it now" : tenir une charley toute droite pendant plusieurs minutes. D’autres titres sur l’album sont rythmiquement assez tendus, mais je voulais avoir ces deux extrêmes dans les partis-pris rythmiques : soit un truc tellement simple que ça le rend intéressant, comme sur "Doin’ it now", soit des choses plus complexes.
Tu as tout fait tout seul ?
Oui, j’aime bien me retrouver seul et essayer des trucs. En groupe, il y a toujours quelqu’un pour te dire que c’est un peu osé, ou casse-gueule, ou que ça fait un peu peur. Alors je prends les risques tout seul et après je fais venir les musiciens pour le live. Le disque est assez ramassé, dense, mais assez varié, je trouve. J’ai jeté beaucoup de choses. Le choix du mixage, hyper sec, a été important pour donner de l’air aux morceaux. Je l’ai d'abord fait mixer par quelqu’un, mais les chansons perdaient un peu de leur charme, et c’est donc moi qui ai mixé finalement. Ils ont affiné au mastering quand il y avait des petits soucis, forcément il y a avait quelques EQs bien freestyle…
C’est Jean Cocteau qui disait : "Ce qu’on te reproche, cultive-le, c’est toi".
Oui, d’ailleurs, j’ai tendance maintenant à aller vers ce que j’ai toujours détesté, ou à essayer de faire ce que je me suis toujours interdit. Et ça devient du coup quelque chose que j’aime bien, ou bien quelque chose de complétement nouveau pour moi, même si ça a déjà été fait avant. Ce sont souvent des "guilty pleasures" dont je n’ai plus honte, comme la culture FM des années 1980 par exemple. On retrouve ça sur l’album de Cléa Vincent ou les productions de PC Music, c’est sans doute une envie générationnelle…
François Virot sera en concert à Paris au Petit Bain le 5 avril et à Allonnes à la Peniche Excelsior le 2 juin. Marginal Spots est disponible via Bandcamp.
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