Il a été barman à 14 ans, graphiste pour une compagnie de sous-vêtements, chasseur de serpents pour le vivarium de Miami - jusqu'au jour où il s'est fait mordre vilainement. Il s'est mis à l'Hébreux et au Grec ancien pour mieux s'adonner à l'exégèse des textes sacrés. Il a descendu des centaines de verres de whisky avec son grand ami Hubert Selby Jr. et a prédit son propre décés pour 2012, parce que cela lui "semble une bonne année pour mourir". Avant de raconter des histoires, l'américain Nick Tosches en a pas mal vécu.
Journaliste rock, romancier, biographe et poète sont les quatre facettes indissociables de ce visage buriné par une vie en forme de cavale. Depuis 40 ans, Nick Tosches brosse au peigne ultra-fin les tifs de la sub-culture américaine, celle des marges, qu'elle soit faite de guitares et/ou de flingues. Comme romancier, il s'est aventuré dans la fange interlope du polar avec Trinité et La Religion des Ratés. Comme journaliste musical, il a élevé un pinacle aux Héros Oubliés du Rock'n'Roll et a fouillé avec la même ferveur qu'un archéologue dans les strates les plus profondes de la Country music.
Mais Nick Tosches atteint son épiphanie dans l'art de la biographie, qu'il sublime avec poésie, dévotion minutieuse, dialogues rapportés (ou inventés, qu'importe), et urgence rock. À travers les vies de l'acteur Dean Martin avec Dino, des ménestrels blancs grimés en noir dans Blackface, du Gangster Arnold Rothstein, dit Le Roi des Juifs, ou du boxeurs Sonny Liston dans Night Train, Nick Tosches peint une Amérique aux couleurs or, noir et rouge sang. Son chef-d'oeuvre reste Hellfire, un portrait crépusculaire de Jerry Lee Lewis, course vers une mort certaine mais qui n'arrive jamais, laissant le pianiste seul, entouré par Dieu, Satan, ses propres des démons (alcools & drogues) et les fantômes des proches qu'il a enterré au fil des ans.
Les excellentes éditions Allia viennent de traduire Réserve Ta Dernière Danse avec Satan, un court livre (137p.) grossi depuis un article publié pour la première fois sous le titre Hipsters and Hoodlums, dans le Vanity Fair de décembre 2000. Tosches nous emmène au début des années 50, dans les sous-bois de la musique américaine. La bête rock'n'roll commence à peine à rugir, Elvis est déjà en train de l'usurper et dans 10 ans les Beatles, ce "groupe de filles idiot avec des organes génitaux mâles" dixit l'auteur, en seront devenus les meilleurs VRP.
Trafic de droits d'auteur, mystification des véritables intérprètes des morceaux, disc-jockey véreux payés par les majors pour passer leurs disques, du cul, des maisons de disques fantoches montées par la mafia afin de blanchir de l'argent, Tosches raconte une industrie musicale sans éthique ni méthode, a peine consciente de ce qu'elle est en train d'accomplir pour le rock : graver dans le vinyle ses plus beaux morceaux et dans le marbre ses plus belles épigraphes.
Avec cette méticulosité démente qui est sa marque de fabrique, Tosches dépoussière les vinyles oubliés, fouille les archives, part à la recherche des morts, rencontre les survivants afin de vérifier, avant qu'il ne soit définitivement trop tard, la véracité de chaque fait, chaque chiffre, chaque date. Interviewé peu de temps avant sa mort, Jesse Stone (musicien, producteur et l'un de ces fameux Héros oubliés du Rock de Toches) se souvient comment des mafiosi de Chicago l'engagèrent pour diriger une compagnie de disque écran, installée au dernier étage de l'immeuble du club Playboy :
"C'était le bordel. Ces types ramenaient leurs nanas du moment, genre les filles déguisées en lapins qui étaient hôtesses au Playboy ou autres, pour qu'elles enregistrent des disques. Ils filaient aux filles un vague texte et me les envoyaient. Elles étaient toutes incapables de chanter."
Comme le résume si bien la première phrase du livre, "C'était une grande époque, on l'aura compris."
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