On mentirait si l'on disait qu'on n'avait pas vu venir Meek Mill. Depuis ce jour de 2012 où l'on a pris l'intro de Dreams and Nighmares sur le coin de la figure ("one of the great triumphant moments in recent pop" a écrit le New York Times), on ne doute pas que le rappeur de Philadelphie finira par avoir le dessus. Depuis la sortie de ce premier long qui s'est placé tranquillement à la deuxième place du Billboard, Meek Mill n'a cessé de rassurer les investisseurs tout en entretenant la flamme avec les fans : un morceau avec Mariah Carey par ici, une incarcération-éclair par là et une idylle avec la petite amie de l'Amérique rendue publique juste avant de commencer à teaser le deuxième album.

Du pain béni par la major Warner (qui héberge Maybach Music, le label de Rick Ross qui produit Meek Mill, et qui comme ses concurrents, paraît presque aussi perdue que nous quand il s'agit d'analyser les tenants et aboutissants du marché du rap en 2015). De là à dire que Dreams Worth More Than Money, qui depuis sa sortie la semaine dernière s'est écoulé à 250 000 exemplaires (2 fois plus que le dernier A$AP Rocky), est l'un des derniers sursauts de la vieille industrie rap, il n'y a qu'un pas : DWMTM a tout du produit industriel imaginé autour d'une grande table de réunion en bois précieux et verre dépoli dans une pièce avec des disques d'or aux murs et une fontaine à eau réfrigérée dans un coin.

C'est un blockbuster rap à l'ancienne, fruit de savants dosages, avec son lot de street bangers produits par les mecs du moment ("Check", acheté à Metro Boomin, le producteur du "Tuesday" d'ILoveMaikonnen), de gros hits un peu sirupeux pour les radios commerciales ("All Eyes On You", avec Chris Brown et Nicki Minaj, pique un peu les yeux), des réferences à Biggie et 2 Pac et un usage judicieux (et consensuel) du Rolodex (Drake, The Weeknd, Future, Rick Ross, P Diddy sont de la partie).

 
Meek Mill n'est pas un grand rappeur mais Meek Mill est un bon rappeur, athlétique et puissant, qui maitrise le storytelling rap sans jamais essayer de le réinventer ("Yeah, I’ve been losing touch with my family, it ain’t the same/I should’ve gave my sister some money but I made it rain" - rien de nouveau sous le soleil). Il est presque l'archétype du rappeur numéro 1 des ventes, le dernier d'une longue lignée de MC conscients de leurs limites techniques et qui ne boxent jamais en-dehors de leur catégorie mais qui le font bien. Il est bien plus rassurant pour un DA de maison de disques qu'un Kevin Gates, un Gunplay ou un Young Thug, qui lui sont pourtant franchement supérieurs. On pourrait trouver ça un peu triste mais pour une fois ça nous va : si c'est Meek Mill qui mange la dernière part du gros gâteau à la crème, on est contents pour lui.