Parmi la foultitude d'étrangetés retro électroniques qui nous sont arrivées du passé ces derniers moi (et le Dieu des disquaires sait qu'il y'en a eu des pelletés), The Baltika Years 1992 - 2002 de Ben Zimmerman est de loin la plus charmante mais aussi la plus dure à déchiffrer. Editée par le fétichiste retro techno Dan Lopatin via son Software de label, cette anthologie d'un quidam au casier discographique absolument vierge s'écoute moins comme un vestige avant-gardiste que comme une sorte d'art brut électronique, gorgé de références (de Steve Reich au breakcore façon Rephlex) et de matières très intimes qui font un agrégat intensément personnel aux yeux de ce qu'on connaît de la musique électronique des années 90. Spécimen très ordinaire d'ado attardé timide, casanier et complexé, le Ben Zimmerman du début des années 90 était moins un suiveur techno qu'un garçon un peu paumé qui bricolait sur ordinateur comme les gamins de son âge un peu plus cools répétaient du hardcore ou de la jangle pop désaccordée.
Là où il bluffe l'auditeur de 2015, c'est qu'il composait son art sur un ordinateur extrêmement primitif et à la résolution sonore très limitée: le Tandy 1000, proto PC vendu exclusivement dans les magasins de la chaîne américaine Radio Shack et actionné par un OS propriétaire très rudimentaire (DeskMate™) qui malgré ce que prétendaient ses publicités à la fin des années 80 était déjà très en retard sur son temps (Tandy a cessé la production d'ordinateurs avec l'avènement des microprocesseurs Pentium).
Titré en hommage à la bière très cheap que Zimmerman s'enfilait par litres entiers à l'époque (la Baltika N°9 Extra Strong, sorte d'équivalent russe de la 8.6 à la sinistre réputation), The Baltika Years sent donc un peu la chaussette sale et les nuits blanches de débauche en solitaire devant l'écran d'ordinateur mais éblouit surtout par son invention, sa soif d'aventure et - in fine - sa dextérité. Ou, pour le dire autrement, un truc très étrange qui se déguste autant pour ses belles idées que comme le vestige d'un temps où la musique électronique n'était pas une option d'amusement parmi tant d'autres livrée clé en main avec votre nouveau smartphone mais le résultat de centaines d'heures de travail en solitaire devant des grilles de chiffres cabalistiques et des minuscules interfaces LCD.
A l'occasion de la sortie de l'album (sorti début juin mais dont on a décidément trop peu parlé), Software vous propose de regarder un petit documentaire sur Ben Zimmerman et son ordinateur à vapeur. Nota bene en passant: ça n'intéressera pas que les nerds qui ont gardé leur collection Génération 4 et Hebdogiciel dans le grenier de leurs parents.
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