Rich Aucoin fait du stage-diving sur une planche de surf devant un écran diffusant des boucles de films Disney. Juste avant, au même endroit, d’énormes morceaux de viandes grillées passaient de mains en mains avant d’être découpées par des experts, tandis qu’une squaw démesurée et à plumes se prêtait à un photoshoot improvisé sous un toit de parapluies suspendus, à côté d’un robot surgi d’un pulp SF 40s -Wait wait wait, on est où, là ?
On est au Canada, dans la ville de Rouyn-Noranda. Ici, on s’en tient plutôt à “Rouyn” et on prononce “Roin”. Précision nécessaire pour apprécier l’info que d’entrée me donne Roger, mon taxi nocturne à Montreal: « chez nous on dit souvent: “Rouyn, c’est loin” ». De fait: 642 km au compteur du minivan qui nous y emmène, traversant forêts, lacs, forêts, forêts, forêts, lacs, forêts pour nous conduire en Abitibi-Temiscamingue.
L’Abitibi, région sublimée dans une poignée de films (comme Un Royaume vous attend ou Gens d'Atibi) par le plus grands des cinéastes secrets: Pierre Perrault, l’auteur du chef-d'oeuvre documentaire La Bête Lumineuse. La bête en question, c’est le majestueux orignal, autant dire le Graal. Trouverai-je le Graal musical au Festival de Musique Emergente qu’accueille la petite ville depuis douze ans ? L’ordre de mission donné par Olivier Lamm, pendant que je me brûlais la langue au troisième degré sur le Nescafé préparé par ses soins, était clair: “va là-bas, mets-toi des mines et tant qu’à faire déniche une perle”.
Avec Midnight Romeo, premier concert sur la grande scène, electro-rock indéniablement efficace mais sans grande finesse, on n’y est pas encore -mais qu’importe puisqu’il n’est que 20h et qu’il y a à voir et à entendre partout. Dans cette petite église parée d’un mapping video en façade, par exemple, où se produit entre autres Jimmy Hunt, qui délivre une pop francophone un peu lyrique et mélancolique, ascendance Christophe, pas mal du tout. Première saturation vers 22h, qui me fait errer hors du périmètre investi. Pour découvrir nocturne une ville d’un calme absolu, malgré les échos mélangés de deux scènes au loin. Rares voitures, qui roulent doux, air frais. Mais du petit bar éclairé par l’écran d’une chaîne de sports en continu, du son encore: une voix très approximative, karaoké ou mic-check d’un concert off à venir.
Retour sur le site, où Rich Aucoin se mue en mix d’animateur de colo et de prédicateur métapop. Certains en sont fatigués, mais on a beau les comprendre, on partage la ferveur qui s’installe devant le personnage, mettant dans sa poche des centaines de festivaliers euphoriques. C’est probablement l’heure d’aller faire décanter tout ça avec un peu de sommeil, mais c’est sans compter sur l’active conjuration nyctalope qui sévit ici: sur le chemin du retour on s’arrête au bien-nommé Cabaret de la Dernière Chance, pour quelques bières bien amères et, surtout… Deux Pouilles en Cavale. Ne pas faire confiance aux noms de groupes: ce trio tripatouille un hardcore syncopé, aux morceaux si courts que la salle du bar ne sait pas toujours quand applaudir, mais avec mes voisins on a pensé très fort à Beefheart et à Hasil Adkins, ce qui est toujours une bonne nouvelle.
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