D'où vient la musique de Arlt? Personne n'en est bien sûr, même pas Arlt eux-mêmes. A la fois sauvage et raffinée, terreuse et céleste, abstraite et bourrée d'histoires ancestrales, on la raccroche souvent à la caravane carnavalesque de la chanson française parce que Sing Sing et Eloïse Decazes chantent en français mais elle ne ressemble à aucune oeuvre de son passé, aucune de ses voix officielles dont les disques habitent les étagères de nos familles.
Eloïse la Suisse a beaucoup chanté de sa voix (liquide) des chansons venues du fond de la nuit de nos régions (accompagnée du Canadien Eric Chenaux, notamment), Sing Sing le Messin a beaucoup aiguisé sa guitare (sèche) sur les chansons grimaçantes des "songwriters pourris" d'Amérique, mais leur art ne saurait en aucun cas se résumer à la percussion forcée de ces deux traditions, du bleu et du blues, des édentés d'Auvergne et des éclopés des champs de coton.
Non, la musique d'Arlt résiste merveilleusement à la dissection du mélomane qui a écouté trop de musique pour pouvoir en entendre aucunes correctement, et demeure aussi ardue à désigner de mots que son nom (emprunté au romancier argentin Roberto Arlt) apparaît pointu sur un bout de papier et risqué à prononcer. Quant à leur nouveau Deableries, il n'écrit pas son titre avec un "e" et un "a" par tropisme anglosaxon, mais parce que c'est ainsi qu'on l'ortographiait au XVIème siècle, quand Maistre Eloy Damerval publia pour la première fois son Livre de la deablerie. De même, Deableries n'est pas un disque sur le Diable, même si son ombre portée apparaît sur les silhouettes des personnages de ses chansons, s'il tourmente leurs âmes et s'il fait chauffer le sang de leurs passions.
C'est simplement un énième disque d'Arlt, déjà le quatrième depuis La Langue en 2010, à tirer le fil de cette musique si unique, à l'ADN si indicible, qui naît de l'addition de cette guitare qui tient vaille que vaille la cadence comme un moteur brinquebalant et de ces deux voix, l'alto et le baryton, qui se mélangent par les hauteurs et les genres jusqu'à la confusion, musique décidément remarquable que le terme de "diablerie" définit effectivement assez adéquatement si on choisit la définition qui le présente comme un effet "dont on ne peut découvrir la cause".
In fine, la musique d'Arlt, on l'aime autant pour ce qu'elle nous empêche d'en dire et cette manière si particulière qu'elle a de nous donner envie de chercher malgré tout nos mots comme chante Eloïse sur "Nous taire un peu" : "je ne sais plus de quoi on parle, si c'est de la mort qui vient ou si c'est du café qui brûle") que pour l'effet qu'elle nous fait, la manière dont elle nous tord, nous embarrasse simultanément de chaleur, d'ahurissement, d'hilarité et d'effroi.
Deableries sort ce vendredi, il se précommande d'ores et déjà chez Almost Musique, et s'écoute en entier ci-dessous.
Crédit photos: Blaise Harrison
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