Commençons par une petite disproportion typique de plumitif: il n'existe pas d'inventeur plus précieux, dans le royaume déliquescent de l'indie rock américain de 2015, que Phil Elverum.

Isolé à son aise dans les territoires reculés du Comté de Skagit, dans l'état de Washington, à proximité d'un lac d'eau claire où il fait régulièrement des brasses, d'un mont magique plein de sentiers secrets et d'une usine désaffectée où il enregistre ses batteries et ses choeurs de filles, l'ancien maître des Microphones, ce magnifique combo Eric Trip'sien qui fit les belles heures de K Records, s'est circonscrit dans les 10 miles autour de sa hutte un territoire musical à peu près grand comme un Monde.

Ce qu'il y voit, ce qu'il y projette est évidemment plus large et plus vaste que 98% des bidules d'indie rock contemporains, mais surtout plus large et plus vaste que beaucoup de bidules émergés du pourtant vaste monde de la pop ces 50 dernières années. Bien sûr, la pop music à travers les âges n'a pas été avare en grands projets gnostiques et autres triple albums aux ambitions démesurées; mais le seul vrai précédent de pop music à ce point mystique qui déborderait à ce point de lui-même, par son milieu et presque malgré lui auquel on pense, c'est Pet Sounds. Sans déconner.

A se perdre dans le monumental Sauna, son plus monumental effort depuis No Flashlight voir Mount Eerie (le dernier album des Microphones avant qu'Elverum change le nom de son groupe, faut suivre), on se dit qu'on n'exagère pas tant que ça en l'étiquetant "majeur".

L'ouverture en écoute ci-dessous est là pour en témoigner: énième réitération consciente ou inconsciente du prélude de L'Or du Rhin de Wagner, dont la légende écrite des propres mains du génie crapuleux raconte que la forme révolutionnaire lui aurait été inspirée par une balade en forêt (il y a donc un rapport), c'est la plus belle porte d'entrée dans un disque qu'on ait entendu depuis très longtemps. Tout le programme du disque, dont les actes et épisodes s'inspirent tour à tour de l'americana la plus pure, du doom le plus brutal, de la musique répétitive de Steve Reich et de la musique liturgique la plus mystérieuse, s'y déploie autour d'un bourdon qui a l'air d'être joué sur un orgue monumental (mais dont la vidéo ci-dessous prouve qu'il a été bricolé avec un casio et un peu de scotch) et dont la tonalité a l'air d'être celle de l'univers. Alors bien sûr ces mots sont un chouilla grandioses, mais ils ne sont pas grand chose, on le jure en crachant par terre, en regard des choses que nous fait ce nouveau monstre de Mount Eerie, le premier à nous toucher si fort, on le répète, depuis une petite éternité. Sauna sort cette semaine sur P.W. Elverum & Sun, en digital en en double LP.