Kevin Morby fait partie de ces types chez The Drone qu’on, disons, tolère, mais dont on ne parle pas spécialement plus que ça, d’une part parce qu'on pense que leur passéisme bon teint tire plus souvent sur la corde nostalgique sans forcément en faire grand chose, d’autre part parce que ce même passéisme nous empêche souvent de creuser plus loin que les ornements mignonnets qui le composent de prime abord.
Eh bien parfois on se trompe. Car depuis la publication de ses premiers albums solo, l’ex-membre de Woods et de The Babies arrive à transcender des influences très classiques – Leonard Cohen, Burt Bacharach, Lee Hazlewood ou Bob Dylan ne sont jamais loin – avec un art de la nuance dans le songwriting qui permet, sinon de faire oublier, tout du moins de ne pas systématiquement le ramener à des pères putatifs et une imagerie forcément écrasantes. Son dernier album en date, le superbe Singing Saw, paru cette année sur le label Dead Oceans, parvenait d’ailleurs à parler de montagnes, de Jésus, de grandes roues, de grands espaces américains, tout ça sans sentir la naphtaline ni l’americana un peu poussiéreuse au coin du feu. Ce qui est en soi une petite gageure.
Aujourd’hui, Kevin Morby revient avec deux nouveaux morceaux sous le bras, dont une reprise de Townes Van Zandt (dont s’inspirait plus ou moins le personnage d’Oscar Isaac dans Inside Llewyn Davis des frères Coen), et une chanson, Beautiful Strangers, qui nous intéresse un peu plus que la première. Le morceau en question, dont les bénéfices seront reversés à une association anti-armes à feu, est une protest song qui traite des violences policières à travers le monde, des attentats à Orlando ou encore à Paris, et s’adresse selon Morby "à tous ces gens que je n’ai pas connus mais dont la vie a été enlevée".
Il n’y a probablement rien de plus casse gueule que de faire une protest song en 2016, mais il faut dire que Morby se colle à l’exercice avec une telle simplicité, une absence de démagogie et de calcul et un savoir faire que nos a priori s’en trouvent assez vite désarmés. Si Kevin Morby réussit là où d’autres se seraient probablement lamentablement viandés, c’est parce que Beautiful Strangers est une chanson dépourvue de tout prêche (malgré les chœurs gospel), pleine de quiétude, d'une bonhomie qui rappelle plus Bill Callahan que, au hasard, Neil Young, et fait montre d'une résignation face à l'horreur somme toute contemporaine, mais que le songwriter arrive à rendre assez bouleversante ("If the gunmen come, or If I die too young, I'm full of love"). Et si l'œcuménisme du morceau reste tout de même un poil maladroit (comme lorsqu'il chante : "I’m Sorry, Freddie Gray"), Kevin Morby montre qu’on peut encore faire ce genre de chanson en 2016 sans sonner rétrograde, et en ne professant pour cela que de la candeur, de la retenue et de l’harmonie.
Le nouveau maxi Beautiful Strangers/No Place To Fall de Kevin Morby est sorti le 27 octobre. Tous les bénéfices seront reversés à l'association Everytown for Gun Safety. Vous pouvez vous le procurer ici. À noter que Kevin Morby passera par la France en novembre, notamment à Tourcoing (le 9), Paris (le 11), Angers (le 17), Nantes (le 18), Bordeaux (le 19), La Rochelle (le 20), Nîmes (le 21).
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