Il y a deux types de (disques de) drone : ceux qui vous changent la vie, et les autres. Sans vouloir trop en dire trop tôt sur laquelle de ces deux catégories à laquelle il appartient, Très précieux sang, le troisième album du duo français Accident du Travail, n'a pas pour projet esthétique de vous laisser indifférent. Julie "Normal" Pierrejean et Olivier Demeaux ont déjà bien trop à faire dans leurs vies de musicien respectives - Olivier est membre éminent de Cheveu et Heimat et Julie est l'une des interprètes majeures des ondes Martenot, le tout premier synthétiseur français inventé par Maurice Martenot en 1918 - pour perdre leur temps à coller les touches de l'harmonium au scotch et envoyer du bourdon pendant des heures sans avoir une idée précise d'où ils veulent aller.
Dès "Le Noir Pays", long tunnel d'anxiété et d'extase inspiré par l'obscurité des nuits d'hiver en Alsace, c'est un vent lyrique venu de la nuit des temps qui se met à souffler dans nos crânes. L'utilisation des ondes Martenot et d'un (petit) orgue d'église, dont les timbres riches en vie et perturbations infimes évoquent naturellement la vielle à roue, la cabrette et quelques autres instrument de la vie d'antan sur lesquels on serait bien en peine de mettre un nom, n'est sans doute pas étranger à cette impression ; au fur et à mesure que "Mariage", "Merluzo" ou "Queen's Funeral II" déroulent leur programme et leurs mélopées, on comprend ensuite que l'impression de musique rituelle - voire religieuse - découle non pas d'un air du temps d'avant que nos deux musiciens-antennes auraient attrapé par mégarde mais d'un projet poétique très précis : la recherche du son au plus près de la vie, le plus organique et le plus proche possible des mystères du quotidien et de la mort qui rôde dans tous les coins.
Ce n'est pas par hasard que deux morceaux du disque s'intitulent "Queen's Funeral", l'enterrement de la Reine. La musique de ces deux-là n'a que très peu à voir avec le trivial de la pop et de la musique utilitaire à consommer. Finalisé sur le magnétophone à bande de Cooper Crain des excellents Bitchin Bajas de Chicago dont on vous a maintes fois parlé, Très précieux sang évoquerait au final le contraire de ces tristes avatars de drone pas désagréables mais qui laissent un étrange goût de pas grand chose en bouche quand on se les inflige en entier : plutôt une ode à la vie dans la musique et à la musique la plus vitale, celle qui accompagne les bonnes gens dans leur vie depuis la nuit des temps, du lever au au coucher, de la vie jusqu'à la mort.
En complément de nos divagations critiques, Julie et Olivier ont eu l'amabilité de bien vouloir nous en dire un peu plus sur le dispositif technique derrière le vent d'ancestral qui agite leur musique sans âge :
Olivier : L'idée de base était d'enregistrer une face b pour un 45 tours - on avait pas joué ensemble depuis plusieurs années. Mais quelque chose dans l'appartement en bois avec ses instruments boisés - un harmonium d'église vieux mais costaud et les ondes de Julie - où nous avons enregistré sonnait trop bien pour qu'on s'arrête là. On était en décembre à Strasbourg, il faisait nuit tout le temps, j'étais un peu préoccupé. On peut même entendre quelques corbeaux au loin dans les enregistrements. Contrairement au premier disque chez Bruit Direct (l'éponyme Accident du travail, édité en 2009, ndr); l'idée était de faire des prises directes sans trop de montage ou bidouillage. On a seulement ajouté quelques tous petits harmoniums électriques enregistrés avec des micros tout prés (merci Laurent du studio onetwopassit) et des prises de Hohner PSK 60, un gros machin en plastique finalement pas si mal pour faire des genres de cordes, le tout toujours au micro et à l'enregistreur numérique.
Julie : Les limitations techniques des ones Martenot ont forcément quelque chose à voir avec le projet. Mon instrument n'est pas en bon état; il date du début des années 60. A la base, il ne peut être repiqué qu'au micro, car c'est un modèle ancien à lampes, qui empêche tout tuning et ajout de jack. Donc le signal sonore est limité. Mais ces contraintes me conviennent et ça s'entend dans ma musique. J'aime cette fragilité qui côtoie la capacité de te décoller le tympan sur certaines fréquences inopinément. Je tiens une bombe dans les mains. J'aime on instabilité, son humanité. Dans l'absolu, il n'y a pas plus d'intérêt à utiliser des ondes que de la trompette. Il s'agit juste de l'instrument que je joue. Mais son timbre, sa suavité, sa personnalité ont fait qu'il est devenu mon plus fidèle moyen d'expression. Ça n'a rien à voir avec un synthé. Le synthé Hohner qu'on a utilisé, on l'a trouvé dans la rue. D'ailleurs, je me demande si ce n'était pas ce soir où je m'étais faire fait virer par les videurs du Paris Paris.
Très précieux sang sort ce jour-même sur The Trilogy Tapes. Il s'achète par exemple via le site du disquaire londonien Honest Jon's.
En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de nos cookies afin de vous offrir une meilleure utilisation de ce site Internet.