En bons sceptiques que nous sommes, l'histoire d'Abul Mogard nous a semblé de prime abord un peu trop fabuleuse pour être vraie. Né en Serbie et ayant passé la plupart de sa vie à travailler à la chaîne de montage dans une aciérie, l'homme n'a semble-t-il commencé la musique que fraichement retraité, afin de recréer les "sons de son environnement passé qui lui manquaient".
Cette réappropriation première des vertus industrielles présente certes très bien sur le papier, mais sent tout de même à plein nez le storytelling fabriqué de toute pièce. Ce ne serait pas la première fois qu'on accolerait à un disque ou à un artiste un contexte moelleux afin d'en tirer le suc le plus alléchant (bien que dans ce cas précis, on doute qu'un album de drone expérimental se vende à des milliers d'exemplaires). On pense notamment à Jürgen Muller, ce biologiste marin qui n'en était pas un, ou à Ursula Bogner, cette pharmacienne allemande qui aurait passé sa vie à composer de la musique dans son coin après le travail, avant d'être soit-disant redécouverte par Jan Jelinek. Ou bien encore à Mingering Mike, ce soulman qui n'a tout simplement jamais existé.
Toutes ces histoires permettent d'appréhender une œuvre vierge avec un regard d'emblée bienveillant, et de ce point de vue on peut dire qu'Abul Mogard se pose là. Que ce soit son interview au site Secret Decoder (par mail, forcément), où il dit avoir "récemment découvert ce groupe, là, Coil...", ou encore ce nouvel album composé uniquement à l'aide de Farfisas et d'un synthétiseur modulaire fabriqué par ses propres soins (on veut bien croire aux "jolies histoires", mais on doute fort qu'un type dénué de toute notion musicale ait fabriqué son propre synth en sortant de l'usine, mais passons), tous les élements qui entourent son projet prêtent à sourire tout en appelant au lever de sourcil.
Seulement, voilà. Lorsqu'on jette à œil à sa page Discogs, on se rend compte qu'Abul Mogard a un nombre d'entrées assez conséquent, qu'il a multiplié les sorties et les collaborations (dont un split avec Harmonious Thelonious sorti au printemps), et apparaît plutôt disert en interview. Et en dehors des sérieux doutes que l'on peut émettre face sa singulière backstory, on est obligé d'admettre que ses modulations aquatiques acccrochent l'oreille - on pense notamment aux circonvolutions spectrales de "Bound Universe". Que ce soit Steve Moore (qui a signé et sorti les premières cassettes d'Abul Mogard en 2012 sur son propre label, VCO Records) qui aurait décidé de lâcher ses penchants new age et enfin assumer (ou ne pas assumer, pour le coup) ses tendances les plus drone, ou nous, qui soyons effectivement d'indécrottables pisse-froid et d'éternels incrédules, cela ne doit pas nous empêcher d'apprécier un disque pour ce qu'il est - bien au contraire.
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