The Soft Pink Truth: Black Metal

Première réaction du puriste trve black: "Hey dude, stay away from my shit" ("Oh là, manant, cette crotte n'est pas destinée à ton bon plaisir"). Il faut dire que Drew Daniel, moité géniale des géniaux Matmos (ça se vérifie par exemple ici) n'y va pas avec le dos de la cuillère sur Why Do the Heathen Rage? pour mettre à mal le mythe black metal. Greffons black music, dérives synth pop salace, descentes deep house, fin de soirées dans un bar gay: si Jon Nödtveidt de Dissection était encore en vie, il aurait probablement été régler son compte à "ce sale pédé intello" à coup de fusil à pompe.

Il va pourtant sans dire que Daniel, auteur d'un petit livre remarquable sur Throbbing Gristle et qui enseigne la littérature à l'université Johns Hopkins de Baltimore, sait très bien ce qu'il fait.

Au départ consacrée à ses explorations du continent house (le premier album est né suite à un défi lancé par Matthew Herbert de "faire un disque de house"), son projet solo The Soft Pink Truth s'était déjà transformé sur Do You Want New Wave (Or Do You Want The Soft Pink Truth?) en machine iconoclaste à décontextualiser le hardcore.

Ici, le projet mue en machine sacrilège ultime: un hommage brûlant et érudit au black metal comme genre musical dans l'histoire, nourri par une réflexion intense sur les portées politiques de notre appréciation esthétique des classiques du genre malgré le bourbier idéologique (paganisme, antisémitisme, racisme, nationalisme, homophobie) qui le caractérise.

Lui même motivé par des inspirations contradictoires (son amour vibrant pour les oeuvres de Darkthrone, Sarcofago, Beherit ou Mayhem contre son dégoût contre la fange de petits fachos psychopathes qui ont fait leur mythologie), Daniel entend à la fois célébrer la musique et régler son compte une bonne fois pour toutes au bardas purulent qui l'anime. Même s'il n'est pas dupe du paradoxe:

"Avertissement: L'esthétique et la politique ne sont ni équivalents, ni séparables. L'appréciation du black metal a trop tendance a impliquer une approbation tacite ou un détour stratégique du regard vis-à-vis du du bullshit politique raciste, antisémite, sexiste et homophobe qui imprègne (toujours) la scène (...). De la même manière que le blasphème encense et attaque simultanément les puissances sacrées qu'il invoque et inverse, ce disque entend autant célébrer le black metal que proposer une critique queer / une caricature / une profanation de son fatras idéologique. Les sentiments partagés à propos d'une scène ambigue, multiple et autodeterminés, pourquoi pas; mais comme Obama aime tant à le dire en presse de conférence juste avant de légitimer son usage des drones en contexte de guerre, soyons clair: aucune excuse, aucun pardon, aucune clause dérogatoire n'est ici tolérée. Les meurtriers restent des meurtriers. A mort la lie fasciste. Par la présente, The Soft Pink Truth abjure tous les homophobes, les racistes et les Nazis du black metal, aussi catégoriquement et absolument que possible: MAY THIS CURSE BIND! Magne Andreassen, nous ne t'oublions pas!"

En préambule à l'album (qui sort en juin sur Thrill Jockey), on vous invite à juger de la pertinence du geste avec le détournement du "Black Metal" de Venom, hymne heavy metal dont le titre (beaucoup) et la musique (un peu quand même) donnèrent en premier à un certain Øystein "Euronymous" Aarseth l'idée d'inventer ce bidule brutal et acrimonieux qu'on appelle parfois affectueusement "le black". Bah ouais, Drew Daniel sait vraiment ce qu'il fait.

Why Do The Heathen Rage (tracklisting):

1. Invocation for Strength
2. Black Metal (Originally performed by Venom)
3. Sadomatic Rites (Originally performed by Beherit)
4. Ready to Fuck (Originally performed by Sarcofago)
5. Stanic Black Devotion (Originally performed by Sargeist)
6. Beholding the Throne of Might (Originally performed by Darkthrone)
7. Let There Be Ebola Frost (Originally performed by An)
8. Buried by Time and Dust (Originally performed by Mayhem)
9. Maniac (Originally performed by Hellhammer)
10. Grim and Frostbitten Gay Bar (Originally performed by Impaled Northern Moonforest)