Quittant la Seine-Saint-Denis et son Bunker en banlieue pour choper la ferme la moins chère, dans le bled le moins cher de tout ce que la France compte de coins paumés, Costes a plié bagages. Et la saga de continuer pour le chevalier solitaire, musicien-chanteur-écrivain-
On avait relevé il y a quelques années déjà la très sérieuse et sincère conversion de notre homme à la pratique catholique. Frappé par la figure d'un Christ austère et pauvre, obsédé par l'intensité du rituel au point de traîner un temps ses guêtres de paria jusque dans la allées sulfureuse de Saint Nicolas du Chardonnay où l'on n'est pas vraiment sûr de l'accueil que pourraient réserver ses coreligionnaires à un Cd comme « Cul crucifié ». Une évolution bousculant nos a-priori plus sûrement que le tout-venant des provocations convenues.
Musicien du dimanche : Costes l'est ainsi devenu, au sens parfaitement propre du terme. Lui qui, de son propre aveu, se croyait obligé de se foutre à poil en concert parce qu'il se sentait trop nul semble avoir trouvé, dans sa modeste paroisse du fin fonds de la Mayenne, un nouvel auditoire. S'asseyant tous les dimanche à l'orgue, le voilà qui s'emploie à jouer comme il faut pour les bonnes âmes un récital séculaire, à l'encontre de toutes les mythologies modernistes. Dix-neuf titres courts, que l'on voit atterrir aujourd'hui dans le giron du weblabel de Noël Akchoté : point de hasard, pour celui qui, il y a plus de quinze ans, au beau milieu d'un chemin de croix judiciaire orchestré par l'UEJF, le MRAP et la LICRA, avait déjà sorti sur son label Rectangle l'improbable « Nik ta race», fruit de la rencontre entre Costes, les rappeurs de Criminology et le duo raï Ghrib & Mejnoun.
Au risque de se répéter: Costes restera sans-doute dans l'histoire comme l'un des plus grands paroliers français. Véritable chanteur-mitraillette se coltinant l'époque et le ridicule du monde pour mieux le défoncer à coups de saillies fulgurantes, capable d'enchevêtrer le drame et le rire tout en enfourchant à la hussarde le fier étalon de la gauloiserie la plus assumée. C'est l'une des vérités que le grand-guignol de ses performances, la réputation provo-scato de surface, semble n'avoir que trop longtemps masquée. Fait troublant : parmi ses milliers d'heures d'enregistrements répartis sur trente ans de carrière, on aurait peine à dénicher ne serait-ce qu'un seul morceau instrumental. Qu'il chante en français, anglais ou japonais, les mots, son domaine de prédilection, s'avéraient être aussi sa limite : toujours tributaire de la langue, de la cervelle, du concret. Trop de choses à balancer, pas moyen de la fermer... Malgré tout son savoir-faire dans l'art du collage noise et distordu, il aura donc fallu que ce disque grégorien soit aussi son premier disque instrumental. Une audace qu'il ne s'était jusqu'ici jamais autorisée.
C'est un enregistrement paradoxalement habité par la même honnêteté, la même probité que le reste de son œuvre. On le suit dans son jeu, appliqué, sur un harmonium qui n'est pas instrument à se laisser convoquer sans éveiller les fantômes de ceux qui, déjà, ont pu célébrer sa mythologie. De la poésie britonne d'Ivor Cutler, aux abords désertiques des rivages de Nico, en passant par les canineries nippones de Jon the Dog, il porte dans ses craquements les stigmates de tous les orgues de fortune des églises en déshérence et des écoles de campagne reculées. Son souffle prolo, c'est aussi celui de Nino Nardini jouant sur l'accordéon de Bruant pour le requiem télévisuel de Debord. Tandis qu'un peu plus loin, dans les décombres, revient l'écho des tours de chant du docteur Destouches.
Ce disque au statut particulier, l'écouterait-on avec les mêmes oreilles s'il n'était accolé à son patronyme ? Costes : avant utilisation, lire attentivement la notice ? Probablement pas. Mais même les yeux bandés, les oreilles grandes ouvertes, on y trouverait toujours à entendre la leçon de justesse donnée par la confrérie de tous les artistes pauvres, leurs partitions fragiles et leur lumière sacrée. A l'ombre de tous les cancers modernes, sirotez donc le vin de messe en écoutant le vrai tube de l'été.
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