Je vous dis "album de Noël" vous me répondez guimauve au gui, Bing Crosby, Mariah Carey, les 37 versions de "Jingle Bells" par Sinatra ou Barbra Streisand, à la rigueur Destiny's Child ou Phil Spector si vous avez le coeur collectionneur. Côté indé, les tentatives ont forcément plus de gueule mais il y a un gros souci: les tentateurs sont presque toujours des vrais bigots (Low = mormons, Sufjan Stevens = chrétien chelou). Comme l'explique pas mal ce vieil article du Guardian, le principe même d'album de Noël est antithétique de l'essence de la pop (plastique, rebelle, distanciée) et c'est inextricable, puisque les pires sont ceux qui contournent la contrainte en jouant l'ironie.
Du coup, je suis presque sûr que l'intitulé de mon post vous a fait frémir, d'autant qu'il y a le mot "jazz" dedans. Mais restez une seconde, Bill Wells n'est pas vraiment un musicien de jazz et il sait ce qu'il fait. Sa famille musicale, c'est la bande Geographic, les Pastels, Aidan Moffat d'Arab Strap, les Tenniscoats et Maher Shalal Hash Baz - tous des autodidactes formés aux guitares désaccordées et à l'amour vache, qui écoutent certes beaucoup de jazz (comme vous, comme moi, comme tous les gens à peu près normalement constitués) mais qui ne sont pas tout à fait capables d'en jouer. Plusieurs des pochettes de ses disques sont dessinées par Jad Fair. Le National Jazz Trio of Scotland n'est évidemment pas un trio, et à l'inverse de celui de notre Orchestre National de Jazz à nous, son titre est une grosse blague. Surtout, je mets ma main à couper que l'esprit de Noël, Wells s'en fiche comme de la Reine d'Angleterre (il est écossais, en plus). Du coup il fait comme Raymond Queneau avec son histoire de type rencontré dans un bus, il le prend, il le retourne, il le reprend, il le re-retourne et il fait sa petite affaire.
Entre les mains du pianiste et de ses musiciens, les sempiternels standards du genre ("Oh Christmas Tree", "Good King Wenceslas", "Jingle Bells") deviennent ainsi une improbable et méconnaissable pâte à modeler fragile pop. Enlevez les ritournelles, et même un bon Presbytérien aurait du mal à les reconnaître. Les chanteurs et chanteuses (Aby Vulliamy, Lorna Gilfedder ou Gerald Black, j'ai fait chou blanc sur google) chantent tous au bord de la faille, comme les trésors nationaux Frances McKee (des Vaselines) et Katrina Mitchell (des Pastels). A ce niveau là de transformation, ce n'est plus du détournement, c'est de la transfiguration.
NB: Le premier qui dit que Bill Wells ressemble au Père Noël en prend une.
PS: Le disque est disponible sur Karaoke Kalk/La Baleine.
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