Ceux qui l’ont vu ne peuvent pas ne pas s’en souvenir. Au tout début du très beau documentaire que Werner Herzog consacré à son “meilleur ennemi” Klaus Kinski – My Best Fiend, sorti en 1999 -, on voit le célèbre géant blond germanique sur scène, face à une foule hostile, alignant des phrases incompréhensibles sur Jésus et insultant copieusement son public.

Si l’on peut y voir une simple mise en abyme du récit d’Herzog, où l’on suit la personnalité éruptive de Kinski, on en oublie bien souvent l’histoire se cachant derrière l’exemple.

Car, ces images ne sont pas anodines. Elles sont le témoignage d’une performance unique, délirante, donnée en 1971 par celui qui reste, dans la mémoire collective, comme l’interprète d’Aguirre. Prévue comme le simple coup d’envoi d’une tournée mondiale baptisée Kinski Jesus Christus Erlöser (Le Jesus Christ Sauveur de Kinski, en VF), cette représentation berlinoise sera en réalité la seule. Grâce aux bons soins du réalisateur Peter Geyer, qui a collecté et assemblé toutes les archives qu’il a pu retrouver, il est désormais possible de revivre ce grand moment de chaos, dont l’intégralité a atterri sur le web.

Outre la présence et le charisme toujours stupéfiants de Kinski, l’intérêt principal de cette heure de film, c’est qu’elle nous donne la possibilité de voir comment tout partit en couille ce fameux soir.

Venue pour chahuter l’acteur qui, pour sa part, a l’ambition quasi-irréelle de tenir deux heures seul en scène en racontant la vie de Jésus revue par lui-même, la foule va peu à peu pousser Kinski dans ses retranchements, et ce dès les premières minutes de son monologue. Interrompu sans cesse, totalement déstabilisé, il perd bien évidemment son calme et devient celui que nous connaissons tous: une espèce d’évadé d’asile vociférant des insultes à la pelle et cachant sa fierté blessée sous une bonne grosse couche de suffisance et de mépris. Un dingue, certes, mais un dingue plutôt génial.

Kinski le disait lui-même: “le jeu d’acteur ultime, c’est l’auto-destruction“. On aurait pas trouvé mieux pour décrire ce qui suit.