Ce n'est pas parce que le gars a incarné un drug tycoon lecteur d'Adam Smith dans The Wire ou un flic "en proie avec ses démons" dans Luther qu'il passe ses soirées devant les pièces télévisées de Beckett. Comme Lou Doillon, Cher ou Mélanie Laurent, Idris Elba un artiste complet qui a su séparer les deux formes d'art qui font vibrer sa coeur: acteur formidable le jour, second couteau de la dance music la nuit. D'après sa page wikipedia, il apparaît dans des clips aux côtés de "Fat Joe, Angie Stone et le rappeur anglais Giggs", il a sorti un maxi sous le nom de Driis et il a co-produit l'intro de l'American Gangster de Jay-Z. En Angleterre, il est désormais identifié dans les médias comme "le gars de la téloche qui fait aussi DJ" - un peu comme si Véronique Genest mixait au Wanderlust plutôt que de twitter sur l'identité nationale - à tel point que c'est à lui que Channel 4 a fait appel pour hoster son chef d'oeuvre de documentaire sur la club culture. Pour fêter ça, le bel et ombrageux Idris (plusieurs fois distingué par des magazines parmi les gars les plus shaggables au monde) s'est même rasé de près, ce qui ne lui arrive quasiment jamais. Pour l'avoir maté presque en entier, je peux vous assurer que ce n'est pas la seule incongruité du machin.
Car How Clubbing Changed the World est beaucoup plus intéressant et beaucoup plus zarbi qu'un énième documentaire sur la musique électronique ou le disco. En lieu et place de la sempiternelle chronologie huppée qui file de Kraftwerk à Aphex Twin, on a droit à une sorte de centrifugeuse criarde et complètement chaotique de faits commentés par une belle brochettes de pré-retraités, d'autocongratulation britannico-britannique et de célébration hystérique des milliards de dollars générés par le biz de la nuit depuis que les grosses boîtes ont le droit de rester ouvertes jusqu'au petit matin.
Avouons que ça donne quelques scènes totalement inédites et inimaginables dans les docus très doctes de la BBC sur la mode acid house, les musiques d'ambiance dans les banques londoniennes ou la manière dont le Play de Moby a été sauvé par la publicité. Surtout, les raccords sont incroyablement hardis puisque l'on passe sans états d'âme du Wigan Casino à David Guetta, de Skrillex à New Order, d'Armand Van Helden à Jimmy Saville, de 2 Unlimited à la house de Chicago ou de Katy B à Kiss FM.
Mais la vraie grose cerise juteuse sur le gâteau, c'est l'absence totale de référence à l'ecstasy, même quand on évoque les nuits au Shoom de Danny Rampling ou les free parties autour de la M25. A peine la rave a-t-elle commencé à rentrer dans l'histoire officielle de la Grande-Bretagne que la culture mainstream a déjà entamé de la purger de ses dernières scories pour en écrire une histoire aseptisée et bon enfant, à l'ombre bienveillante de la City. Ça fait un peu mal au crâne mais c'est absolument édifiant.
ERRATUM: Un lecteur nous signale que les dix dernières minutes du documentaire sont intégralement consacrées au MDMA. On se justifiera un peu laborieusement en soulignant que 10 min sur 80, c'est bien peu en regard de l'importance cruciale de la molécule dans l'essor de la club culture. Pour plus amples détails, on se reportera bien sûr à l'essentiel Energy Flash de Simon Reynolds, qui ne lâche pas l'ecstasy et ses dérivés d'une semelle tout au long de ses 480 pages et qui semble avoir fourni un blueprint conséquent aux réalisateurs de ce documentaire.
Plus de critique, plus de pertinence et plus de méchanceté ici.
Le documentaire se regarde sur ce lien.
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