Le nom dada, la mythologie prête à l'emploi l'indépendance intégrale, les pochettes en carton épais qui se transforment en pyramide quand on les plie selon les indications: la vie et la carrière des metarockers grenoblois de Rien ne ressemble à aucune autre. Et pour cause, Dos.3, {aka}, Francis Fruit, Goulag et Yugo Solo, tous déjà très occupés à côté et comblés dans leur existence (dans Câlin, par exemple) n'ont pas bâti Rien pour faire une fois par an la tournée des SMAC de France: plutôt pour s'amuser très sérieusement avec cet étrange concept qu'est le groupe de rock et pourquoi pas faire avancer un peu la musique par la même occasion.
Mais voilà: Rien est également - surtout - né avec une malédiction sur le dos puisque ses membres annonçaient dès 1999 la disparition du groupe 2014. Et ce qu'on a longtemps pris comme une amusante note de bas de page à ajouter aux autres notes de bas de page amusantes vient de se réaliser: le 28 novembre dernier, quelques jours après la sortie de 1, leur dernier disque, le groupe donnait à la Maroquinerie son dernier concert sur le sol français avant de rentrer à Grenoble poser sa propre pierre tombale en forme de pyramide. On a absolument tenu à discuter avec les survivants du quatuor sur les raisons qui les ont poussé à passer à l'acte après 15 ans de carrière en forme d'ascension vers les étoiles.
Ca Barde Chez Les Bardes feat. Jull
La Défaite Des Vainqueurs
En préambule, pourriez-vous rappeler comment est né Rien et comment cette mort annoncée s'est insérée dans le projet? A quel moment avez-vous eu l'idée de prévoir le jour de votre disparition?
Soit une bande de jeunes dans leur glorieuse vingtaine, rassemblés autour d'une performance pensée comme nécessairement éphémère : une sorte de parodie de spectacle contemporain, dans un squat grenoblois – à l'époque, en 1999, Internet n'avait pas encore cette aura omnisciente qui nous aurait permis de vérifier qu'une telle démarche était carrément cliché (comme le démontrent cet exemple de 1999, ou encore celui-ci de 2014) ; même si nous étions tout de même animés par une volonté de bien faire et de ne pas non plus prendre le public de haut. Ce dernier a bien réagi, entraînant une succession de malentendus qui ont construit tout le parcours de Rien. S'en sont suivis une pièce de théâtre barrée, une émission de radio dénuée de sens, un premier album, une première tournée foutraque... En fait, autant d'excuses pour se retrouver ensemble, partir à l'exploration de notre sens de l'humour, de la vie en communauté, pour finalement trouver un compromis entre idéalisme, individualisme, quête du sens et chamanisme culturel. La décision de mettre fin à cette aventure en 2014 est arrivée assez rapidement, dans la foulée de la sortie de Requiem pour des Baroqueux, et c'est un bon résumé de l'histoire de Rien : une blague assumée et exécutée avec le plus grand sérieux.
Jusqu'à quel point l'inclusion de ce gène "autodestructeur" dans le code du groupe était un choix "politique"? Dans le sens où il va à rebours des notions de "carrière" et de "succès" qu'on accole en principe à la vie d'un groupe de musique pop? Est-ce qu'on a le droit d'établir un parallèle avec la manière dont vous avez sortis les disques de Rien sur l'Amicale Underground, en téléchargement libre et en participation libre?
Vous avez tous les droits et vous le savez très bien, sinon vous seriez en train de rédiger des notules pour la rubrique « Page Pute » de Brain Magazine avec les larmes aux yeux. Avec un minimum de recul, toute l'aventure Rien s'est placée sous le signe de l'autodestruction. Pas tant dans la décision de proposer les albums en libre téléchargement ou même dans la volonté d'entretenir une page myspace, mais plutôt dans la somme de plans lose accumulés. Lors de la création officielle de l'Amicale Underground, à un moment, on a considéré l'éventualité d'inscrire « Encore un échec » en latin sous le logo. Qui d'un concert à minuit sous le périph' lyonnais devant les organisateurs bourrés d'un contest de kayak, qui d'un live raté avec Damon Locks sur le titre "Basic" – sans doute le tube le plus évident de notre discographie -, qui de tournées planifiées à l'arraché... Le karma est une pute à frange, dans une vie antérieure, on a dû être une troupe de cabaret nazie.
Il y a quelque chose d'un peu morbide dans le fait d'écrire sa propre fin à l'avance et de la mettre en scène comme un événement. D'où vous est venue, à votre avis, cette pulsion de mort? Quelque chose à voir peut-être avec le climat quelque peu déprimé et délétère de ce début de millénaire? Au contraire, rétrospectivement, se dire qu'un tel projet tiendrait debout aussi longtemps relevait d'un optimisme béat. Dans l'absolu, avec l'éclatement géographique et la reproduction familiale de tous les membres du groupe, le projet aurait dû prendre fin en 2010 ; cette échéance de 2014 nous a poussé à finaliser la trilogie en forme de compte à rebours. Paradoxalement, fixer à l'avance la date de notre propre mort nous a maintenu en vie plus longtemps.
J'avoue que cette fin annoncée, je n'y croyais pas plus que ça. Et vous? Si, mais encore une fois, rien ne s'est déroulé comme prévu. L'ultime mini-tournée aurait dû mal se passer, avec des plans lose du type panne de camion sur l'autoroute, engueulades irréconciliables sur la set list, manque de temps pour les balances, spectateurs blasés qui sifflotent en regardant ailleurs au lieu de demander un rappel, mais évidemment, tout s'est merveilleusement passé, le public n'a jamais été aussi à fond et les lieux aussi accueillants. S'il y a bien une chose qu'on n'avait pas vu venir, c'est l'émotion profonde qui nous a étreint au sortir de l'ultime concert à la Bobine.
Est-ce qu'il y a un événement qui aurait pu vous faire dévier de votre histoire écrite à l'avance? Un coup de fil de Madonna? De FARC de Colombie? Ine proposition de collaboration avec Ennio Morricone? J'ai revu récemment
In Bed with Madonna, je ne me rappelais pas à quel point cette femme est intrinsèquement horrible – donc non. Surtout pas. Pour rester dans la logique de l'existence de Rien, il aurait fallu que ce soit vraiment quelque chose d'absurde, comme un featuring sur l'album métal symphonique de Christopher Lee.
Rien - the sun is always right
09:13
Ce dernier - pardon, premier - épisode est sans doute le plus lyrique de tous les épisodes de votre discographie. Surtout, il semble encore plus marqué que les autres par les musiques des western italiens de Leone ou Corbucci... Comment s'est fait ce mouvement vers l'Ouest? Est-ce que les musiques de western sont celles qui incarnent selon vous le mieux la disparition et la mélancolie du bonheur qui s'enfuit? Ou est-ce, plus simplement, qu'elles sont celles qui se prêtent le mieux au sifflotement? Plus qu'un côté western, il y a toujours eu un attachement inconscient de Rien au cinéma d'exploitation italien des années 60 / 70. Pour le mélange des genres, le désir de se réapproprier l'évocation de ses modèles à peu de frais, la somme de références qui crée autre chose, et avant tout, la logique de l'accident heureux qui voit émerger des fulgurances dans des produits crapuleux. Ainsi de ce morceau génial de Nico Fidenco dans la BO du monstrueux
Black Emanuelle autour du monde, du lyrisme totalement inapproprié de Riz Ortolani en soutien au voyeurisme de
Mondo Cane, ou encore du thème entêtant de Bruno Nicolai pour le giallo malade
Ton Vice est une Chambre Close dont moi seul ai la Clé. Tout est dans le contre-pied, l'inattendu : on peut par exemple voir
1 comme une BO de western classique, grossièrement interrompue par un flash-back chez les druides celtes à la grâce de la participation vocale de l'indispensable Jull.
Sur 1, vous écrivez votre propre élégie, avec forces mots et ironie. Pourquoi ça? Est-ce que cette fin du groupe avait besoin de vos propres commentaires? Est-ce que les proches qui parlent aux enterrements ou les journalistes qui composent les nécros dans les quotidiens sont toujours à côté de la plaque?
C'était avant tout une façon de boucler la boucle, à la fois en parodiant le testament du Général de Gaulle qui se trouvait réinterprété dans
Requiem pour des Baroqueux, en livrant un générique de fin moins ambigu que celui d'
Il ne peut y avoir de Prédiction sans Avenir (qui était une parodie de l'intro du
Mépris où Godard énumère lui-même les acteurs et techniciens de sa voix atone – mais hélas, pas grand monde ne l'avait vu comme ça et on s'est fait accuser de se prendre au sérieux, crime de lèse-majesté ultime), et enfin en donnant le premier indice pour l'emplacement de notre pyramide funéraire. Le texte en lui-même n'est pas si cassant, il est même plutôt doux à certains égards.
Vous avez effectivement fait poser, dans les hauteurs de Grenoble, une pierre tombale en forme de pyramide. Comment s'est passée la cérémonie d'enterrement ? La longue promenade matinale nous a tous fait dessaouler des heures écoulées depuis le dernier concert – ça tombe bien, on voulait quelque chose de sobre et c'est exactement ce qu'on a eu.
Dans l'ensemble, jugez-vous plutôt la carrière de Rien comme une défaite de vainqueurs ou comme une victoire de losers ? Dans une guerre, il n'y a jamais de vainqueurs.
Pour ceux qui n'auraient pas eu la chance de se procurer les disques en vrai, l'intégralité de la discographie de Rien est disponible en téléchargement en participation libre sur le site de L'Amicale Underground. Grouillez-vous d'attraper ça sur votre disque dur, ils ne paieront pas les droits d'hébergement éternellement.