C'est au Mans, en 1997, que Matthieu Choquet, alors disquaire, lance Bokson, l'ancêtre papier de l'actuel Mowno. Si le nom, le format, le mode de diffusion et la taille de l'équipe ont changé avec les années, l'idée reste aujourd'hui fondamentalement la même : parler avec passion de musique au sens large, créer ses propres canaux de diffusion, accompagner les scènes et les artistes qui en valent le coup sans réfléchir en terme de bénéfices, de part de marchés, de politicaillerie d'annonceurs et de maisons de disques. 


Après 20 ans passés à parler noise, math-rock, abstract hip hop et electro casse gueule, à organiser ses fameuses Mind Your Head et à tracer tranquillement son chemin en marge de la grosse industrie, on fait le point avec Matthieu sur ses diverses expériences sur la scène indé française, avant de le retrouver en chair et en os ce week-end à Petit Bain pour le 18ème Mind Your Head.

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Tu peux nous raconter d'où tu viens, quand et comment tu as commencé Mowno ?

Matthieu Choquet : Mowno n'est pas le début de l'histoire. On a commencé en 1997 sous le nom de Bokson. À l'époque, j'étais disquaire soi disant agitateur au Mans, et je voulais contribuer à cette scène underground française qui m'attirait pour sa qualité mais aussi pour son éthique, ses valeurs de partage, d'entraide, etc... J'étais fan d'un fanzine de Nancy qui s'appelait Kerosène. Donc un jour j'ai écrit à Dan pour avoir quelques conseils, et le mec m'a répondu, m'offrant quasiment un petit guide du fanzinat par la même occasion. Je lui en serai toujours reconnaissant, d'autant que ça ne faisait que conforter l'image que j'avais de ce petit milieu. Géographiquement, c'était facile pour moi de bouger à Rennes, Angers, Tours, Nantes, Poitiers pour aller rencontrer les groupes que j'aimais, qui étaient rarement défendus par les magazines nationaux, à l'exception de Rage qui m'a aussi beaucoup influencé. C'était une autre motivation : proposer aux gens qui voulaient bien nous lire de leur faire découvrir des groupes inconnus ou presque, dont la musique restait pourtant accessible. On a donc sorti six numéros distribués en France et au Québec par l'intermédiaire de disquaires indépendants. A ce moment là, on était trois, avec chacun un style de prédilection : le rock pour moi, et le hip hop et la musique du monde respectivement pour mes deux autres collègues qui ne sont plus de l'aventure aujourd'hui. Puis un pote s'est lancé dans le web, et m'a proposé au début des années 2000 de me monter un site à la seule condition que je me tienne à le remplir. Parole tenue je pense... J'ai vite dit oui : plus d'agrafes, plus de papiers, plus d'argent à aller chercher à droite à gauche pour sortir le prochain, et la possibilité d'informer les passionnés au jour le jour, en un clic. On a continué sous ce nom jusqu'en 2009, date à laquelle le système était devenu vieillissant. Il a fallu tout changer, et on en a profité pour changer de nom, Bokson prenant selon moi une connotation de plus en plus alternative. Nouveau nom, nouveau challenge, et l'electro a remplacé la musique du monde. Mowno existe donc depuis cette date, en est à sa troisième version depuis la toute nouvelle récemment dévoilée. Mais vu que tout le contenu de Bokson y a été transféré, on fête quand même cette année notre 20ème anniversaire.
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Aujourd'hui comment fonctionne le média ? Quel est ton modèle économique ?

Le modèle économique est simple : on limite les coûts au maximum, et on couvre nos frais seulement via le très peu de pub qu'on vend sur le site. Hors de question pour moi de polluer nos pages avec des publicités de marques qui n'ont rien à voir avec la musique et donc avec nos lecteurs. A moins qu'ils fassent un gros chèque, qu'ils ne font jamais parce qu'on n'est pas les Inrocks ou Konbini. Donc c'est vite réglé. On travaille surtout avec des tourneurs, des labels, ou des festivals, et ca nous va bien vu que ca permet de couvrir le minimum nécéssaire. Faire de l'argent n'est pas le but chez Mowno, sinon on n'existerait plus depuis bien longtemps. Tout le monde est bénévole, moi compris. Si ca fonctionne, c'est seulement grâce au temps qu'on y passe, à l'attention qu'on y met tous pour en faire un média crédible, et à la passion de la quinzaine de contributeurs qui m'accompagnent désormais, et qui ont comme seule motivation le plaisir d'écrire, de faire découvrir et de prendre part à l'aventure. Je trouve ça beau, parce que quelque part ca fait subsister ma motivation de départ, cet état d'esprit qui m'attirait. Je les remercie énormément au passage. 

Mowno a été initialement très lié à la scène noise rock, DIY. Puis a ouvert son spectre vers d'autres musiques. A quoi ce changement correspond?

Si je comprends aisément que les gens aient pu étiqueter Mowno, on a jamais considéré qu'on appartenait à un seul style. La ligne éditoriale a toujours suivi l'évolution des goûts de l'équipe. Si tu feuillettes les premiers Bokson, on y parlait de reggae, de hip hop et beaucoup de punk hardcore, de hardcore mélodique, d'émo qui sont ma culture musicale à la base... Je ne suis pas sûr qu'on en serait là aujourd'hui si Dischord n'avait jamais existé. C'est un exemple parmi quelques autres. Mais c'est vrai que le noise rock et le math rock ont eu ensuite une place importante, accentuée par la programmation de nos soirées Mind Your Head qui y étaient souvent dédiées, mais par la force des choses, par le réseau. Pourtant, j'ai toujours voulu qu'il y ait également de la folk ou du hip hop sur ces plateaux. Ca ne s'est jamais fait, peut être justement à cause de cette étiquette qu'on nous a collés sur le dos. Pour revenir à la ligne éditoriale, elle dépend énormément de l'équipe. Et plus on est, plus les goûts sont larges, plus le spectre l'est aussi. Ca me va très bien : nous sommes des gens ouverts qui, par la même occasion, découvrons des choses par le biais des écrits des copains. On évolue donc ensemble, et on serait bien incapable de dire vers quoi on ira dans 5 ans. Mowno se doit de toujours être le reflet de l'actualité du moment, sans pour autant tourner le dos à nos cultures musicales respectives dont on continuera toujours de parler, ne serait-ce que pour notre propre plaisir. Plus ça va, plus nous devrions donc être complets. Très bonne chose !
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En 20 ans comment as tu vu l'évolution du monde de la musique et celui des médias? Je crois que tu travailles aussi à côté dans une maison de disques ?

Oui je travaille dans une maison de disque dont le catalogue peut difficilement trouver un écho chez Mowno, donc pas de conflit d'intérêt. Depuis un an et demi, je manage aussi une jeune artiste en major, ce qui me permet de connaitre toutes les facettes du métier, du bas jusqu'en haut de l'échelle. Tout ça est très instructif : ca aide à comprendre les impératifs de chacun des niveaux du business, à s'adapter, et par la même occasion à revoir son jugement dans un sens ou dans l'autre, sur des indépendants qui raisonnent comme des majors et certaines personnes de grande maison de disque qui ont finalement plus de respect pour l'artiste qu'on pourrait le croire.

Au-delà de la révolution des supports, c'est peut être cette évolution qui me parait la plus criante dans le monde de la musique : les artistes sont de plus en plus nombreux grâce à une exposition infiniment plus accessible via le net, mais durent de moins en moins parce la quantité nuit finalement à l'originalité. Heureusement, il y a bien encore quelques exemples pour me contredire, mais il faut le plus souvent aller les chercher bien profond au sein de la scène française pour les trouver. Là où, comme par hasard, l'argent est absent, et où la réussite ne tient qu'à l'huile de coude, à la persévérance, à l'humilité, et à une forte personnalité artistique. C'est dommage qu'ils n'en récoltent pas les fruits, mais ce n'est que justice puisque c'est d'eux que viennent finalement les meilleurs disques.


J'ai un avis beaucoup plus flou sur les médias, que je suis ni plus ni moins comme tout le monde. J'ai un ou deux magazines de prédilection, une bonne poignée de sites internet que je suis de très près, et ça s'arrête là. Bien sûr, je regrette que les fanzines soient moins nombreux qu'avant, qu'internet les ait remplacés. Mais il faut vivre avec son temps. Quant à la presse papier plus officielle, je l'ai souvent considérée comme biaisée parce qu'à la merci de ses annonceurs. Donc, au delà des quelques contre exemples (New Noise, Magic...), je ne les pleure pas. Reste que, en tant que média internet, je m'aperçois que les sollicitations extérieures (interviews, avant-premières, partenariats...) sont de plus en plus nombreuses aujourd'hui : c'est encourageant, parce que c'est peut être la preuve que tout le monde se détache enfin des vieux schémas, et commence enfin à comprendre qu'un site peut toucher plus de monde qu'un magazine qui passe de main en main.

Tu peux nous parler de la programmation des 20 ans à Petit Bain ?

On fêtera nos 20 ans les 16 et 17 juin prochain à Petit Bain. Deux soirées, deux ambiances, avec une volonté de couvrir toutes les périodes de notre existence en tant que média. Le vendredi sera plus tourné vers l'electro. Le nouveau-né Bornor, tout nouveau projet de Stephane Fromentin déjà apparu au sein de pas mal de groupes rennais, ouvrira la soirée avec son registre dark pop aux arrangements electro, suivi des lyonnais de Mont Analogue, valeur montante de la scène electro française, qui font de plus en plus parler d'eux depuis la sortie de leur album éponyme l'an dernier. Enfin, et c'était notre volonté pour renouer avec les années Bokson, Abstrackt Keal Agram y donnera son premier concert parisien depuis sa reformation au printemps et présentera aux parisiens de nouveaux morceaux. Quand on sait à quel point le duo a incarné l'electro hip hop du début des années 2000 en France, et combien Bokson les a soutenus, c'était d'une logique absolue qu'ils soient là pour nos 20 ans.
Le lendemain sera plus rock, même math rock pour continuer de nous coller notre petite étiquette sur le dos ! Après plusieurs échecs à les programmer sur de précédentes Mind Your Head, les belges survoltés de La Jungle ouvriront le bal histoire de nous mettre directement dans le jus, puis laisseront la place aux copains de It It Anita (indie noise rock, Belgique) et d'Electric Electric, des vieilles connaissances pour les fidèles de nos soirées. Ca va être cool, varié, de bout en bout dans la joie et la bonne humeur. Vous venez hein ?

20 ans de Mowno - Mind Your Head #18 - Teaser - 16 & 17 juin 2017

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La chose dont tu es le plus fier et ton regret le plus fort qui ont marqué ces vingt années?

Des regrets, je pourrais certainement en trouver si chacun m'avait laissé comme un coup dans l'aile. Très sincèrement, je n'en ai pas, je regarde toujours devant, en remettant le passé aux mains du destin. Après, ok, je ne ferai jamais cette Mind Your Head au Bataclan avec Fugazi, The Ex et Shellac. Mais bon... (rires) Plus sérieusement, on peut toujours mieux faire, mais ce sont plutôt les fiertés qui m'encouragent à poursuivre ce qui est ni plus ni moins devenu ma vie, mon identité. Celle d'avoir réussi à imposer Mowno dans le paysage de la presse musicale française à la seule force de ma passion en est une, tout comme celle de voir mon équipe fière et motivée à l'idée de faire de Mowno ce qu'il est aujourd'hui et ce qu'il sera demain. 

Mowno fête ses 20 ans les 16 et 17 juin à Petit Bain, on vous fait gagner des places ici, toutes les infos sont

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