Aujourd'hui sort chez Wolf Music le EP Ukiyo du producteur parisien Neue Grafik. Un titre en japonais sur un label anglais pour 5 pistes de house breakée, gorgée d'influences qui vont de Chicago à Lagos et du sud de Londres à l'est Parisien sans jamais perdre le fil. Faux nouveau-venu sur la scène club parisienne, le producteur s'est taillé en à peine 2 ans une place de choix à travers ses sorties chez Beat x Changers et S3A Records et le lancement de son label VERTV et ses soirées affiliées. En fil rouge de tous ses projets, le pote de Mad Rey et Labat prône une ouverture d'esprit et une simplicité qui font parfois défaut aux programmateurs, producteurs et fêtards parisiens. Eclectique et versatile dans ses productions, ses fréquentations et ses ambitions, on a posé quelques questions à celui que beaucoup considérent comme un des espoirs majeurs de la house parisienne.

Ukiyo en japonais, c'est le monde flottant, la recherche des plaisirs, une culture qui a connu son essor du XVII au XIXème siècle à Tokyo où "l'esprit ukiyo" se développe dans le quartier des bordels, des salons de thé et des théâtres. C'est une image dont tu trouves qu'elle correspond bien à Paris et aux villes européennes en général ?
Pour moi le monde flottant, c’est plus une recherche spirituelle et urbaine à la fois, c’est un mot et une vision que j’aime avoir sur ce qui nous entoure, sur cette nouvelle génération qui ne veut pas être cantonnée à une étiquette, aux gens qui aiment découvrir, à la culture, à la sensibilité. Donner ce nom qui fait référence à l’ère Edo, et à la beauté délicate de la culture japonaise, c’est une manière de vouloir mettre en avant la beauté, la mélancolie, et la passion incandescente que j’ai pour Paris. Pour ses danseurs, sa pluri-culture, ses quartiers, ses évènements, en essayant de lui apporter une touche poétique, mystérieuse et sensuelle.

Sur le EP, il y a cet aspect monde flottant inhérent à ta musique, à la house, mais il y'a aussi un versant plus politique : le "Jam à Muhammad" qui ouvre le EP, le "Butter Chicken" aux patterns afrobeats, les paroles de Wayne Snow sur "Witches" … Tu as souvent cité Gil Scott Heron, Ukiyo c'est un peu, toutes proportions gardées, ton "The Revolution Will Not Be Televised" ?
Merci pour le compliment, même si j’ai beaucoup trop de respect pour l’âme de Gil Scott Heron et ce morceau culte pour m’y comparer. Mais Gil Scott Heron ou encore Last Poets sont des artistes engagés qui m’ont beaucoup influencé dans leur approche à l’avant-garde du hip hop et dans leurs textes. "Jam For Muhammad", c’est un morceau que j’ai composé assez naturellement lors de la mort de Muhammad Ali. C’est une figure qui m’a toujours marqué, flamboyante, intelligente, vive et pleine de valeurs humaines. "Butter Chicken" c’est un morceau assez personnel, il dépeint un sentiment de rage, de violence, de préjugés et d’inégalités que je ressens dans notre société actuelle.

Est-ce que tu penses que la house, dont justement l'essence est hédoniste, flottante, sexuelle, clandestine, peut se prêter à des messages plus "engagés" comme ceux qui passent dans Ukiyo ?
Je ne me suis jamais senti engagé. Ni même compositeur avant tout de house. Mais la musique est marquée par la personnalité de ceux qui la composent, je pense que l’un n’empêche pas l’autre, justement la musique n’a pas à être hédoniste ou engagée elle a juste besoin d’exister et de faire ressentir quelque chose de fort. Les morceaux ont leur propre vie. De plus, tous ces termes sont très loin de s’opposer. Si tu écoutes des morceaux comme "Jupiter Jazz" d’Underground Resistance tu te rends bien compte que la house à la base n’a pas toujours fait le choix entre "hédonisme" et "complexité" ou même soyons fou "engagement".

On sent dans ta musique et le discours que tu as autour de ta musique une vraie volonté de ne pas te laisser enfermer dans une case, mais au contraire de revendiquer d'aller choper des idées, des influences et des références partout. C'est important pour toi de présenter plusieurs facettes, de complexifier l'angle sous lequel on peut attaquer tes productions ?
Honnêtement, je n’aime pas la complexité pour la complexité, j’ai toujours composé de manière naturelle. Mais oui j’aime le sous-texte et je pense être assez curieux. La musique a souvent une fonction, comme l’art en général, je trouve intéressant d’y mettre ses propres valeurs, son état d’esprit. Mes morceaux sont un peu, pour rester dans la métaphore japonaise, des estampes de ma personnalité. Avec une couleur, un ego, une vision, mais aussi une ouverture et une curiosité du monde qui l’entoure. Donc mes influences et mes inspirations viennent d’un peu partout et souvent d’autres arts que la musique.

Tu peux me parler un peu des soirées VERTV ? Vous avez invité Brassfoot à la dernière, tu te reconnais dans sa façon très large d'approcher l'electronica? 
Les soirées c’est le versant évènement club de notre label, à moi, Hybu et Ev4ns. Et oui j’aime beaucoup ce qui se passe dans la musique de Brassfoot, son label NCA est aussi excellent. Idem pour Apron.

Est-ce que l'idée aussi n'est pas de ramener une culture qui manque à Paris, justement de mélanger des gens d'horizons différentes avec des goûts et des parcours différents ? Le point de convergence entre les fans de Bauhaus et ceux de Cooly G ?
L’idée et ce que j’aimerais ramener à Paris c’est plutôt une simplicité et une manière de vivre l’instant sans être dans l’artifice. J’aimerais voir des gens passionnés qui ne se mettent pas eux-mêmes dans des carcans. Les barrières sont mentales avant d’être musicales, et dans le contexte du monde actuel c’est peut être ça que j’aimerais le plus. Les soirées Tap Water Jam sont un très grand et un unique exemple de ce que j’aime voir à Paris.

Ukiya est disponible chez Juno Records, la prochaine soirée VERTV aura lieu le 17 décembre à La Rotonde Stalingrad.