De son crew d'origine le YGRK Klub à son label Boukan Records, Bamao Yendé développe quelques idées fixes : remettre de l'échange dans les clubs et les squats parisiens, des breaks dans la house française et des ambiances moins austères dans les fêtes parfois un peu tristes de la capitale. Et ça marche de mieux en mieux. Au moment où la techno berlinoise remplie toujours les salles mais peine à rester excitante, où la dernière génération de producteurs house salope intentionnellement ses productions pour y réinjecter un peu d'inattendu, l'immense continent que le producteur de Cergy explore, celui qui relie les Chicagoans de Teklife aux Lisboètes de Principe Discos en passant par la scène du quartier londonien de Peckham constitue un vivier dense, vivant et excitant dans lequel beaucoup de choses restent à écrire et à explorer.
Bamao Yendé : ils sont pas très rassurants. Très bizarre comme délire, même cette manière qu'ils ont de marcher dans la rue …
Tu sens ça en ce moment en France ? Une crispation de la situation ?
BM : Ca se tend de ouf, tu ressens une tension constante. Ca faisait un moment mais on atteint un point que je n'avais jamais connu. Surtout en période électorale. Je sais que ça remet en cause beaucoup de choses, les gens se posent des questions, on pensait avancer mais au final on se rend compte que dans les faits tout ne va pas si vite que ça.
Tu comprends cette crispation ?
BM : Non. Je pense surtout aux gens de mon âge qui ont grandi comme moi, comme nous. Je fais partie d'une diaspora, mes parents ont émigré en France. Mais moi je suis né ici. J'ai grandi avec ces gens-là. Je ne comprends pas comment ils peuvent avoir peur de gens qu'ils côtoient depuis qu'ils sont nés. La génération d'avant, pourquoi pas. Pour eux c'était nouveau, ils n'avaient jamais connu de gens comme nous. Mais aujourd'hui pour moi c'est normal, c'est limpide. De la même façon que je ne comprends pas qu'on puisse ne pas admettre et accepter qu'il y ait des gens homosexuels... C'est tellement ancré dans la société, c'est tellement autour de nous que je ne comprends pas qu'on puisse avoir peur de ça. À nos âges en tout cas. Je sais que l'électorat FN est super jeune et je ne m'explique pas comment des jeunes peuvent être séduits par cette vision.
Cergy c'est comment ? Les gens échangent, se parlent ?
BM : C'est divisé en plusieurs parties. Préfecture, c'est là où il y a du monde, de l'activité, du passage. Tu as des quartiers riches, d'autres plus durs. Et en haut ils construisent que des bâtiments sans âme. Mais à Cergy tu as aussi les Beaux-Arts, la plus grande université d'Île de France, il y a plein de gens... Avec tout le potentiel et tout le monde qu'il y a on pourrait devenir énorme.
Il y a un aspect politique dans ta musique ou tu restes dans une approche esthétique, fonctionnelle ?
BM : Oui, il y a une dimension politique. L’amour c’est une politique. On est en recherche de love, en recherche de paix. Et ça c’est une valeur très politique. On n'ira pas dire nique la police, on n'ira pas à la confrontation frontale. On le fera à notre façon, de manière plus subtile. On est plus dans une envie d’essayer de propager des ondes de paix.
Tu sais que Firmeza et Nidia Minaj de Principe Discos seront à Bagnolet ce week-end pour Banlieues Bleues (l'interview a été réalisé le 9 mars dernier, NDLR) ? Ils seront aussi en résidence pour toute le durée des Nuits Sonores à Lyon. De manière générale Principe est cité et accueilli par de plus en plus de monde.
BM : C'est normal. Marfox a posé un EP super important sur Warp en 2015, Cargaa. Ça a été très important pour beaucoup de gens, dont nous. Marfox c'est le porte-drapeau en quelque sorte, et son label Principe c'est les porteurs du message Kuduro. Du kuduro, de l'électronique, le mélange de tout ça. C'est hyper-cool, c'est nos influences premières.
Comment expliques-tu que beaucoup de ces courants mettent autant de temps à arriver en France ? Le footwork, la house percussive anglaise, ces courants que vous essayez de porter ?
BM : Je pense que c'est au moins en partie lié à Internet. Nous on a grandi avec, pour nous c'est normal d'avoir accès à plein de musique tout le temps. Ce qui fait qu'on est ouverts à plus de genres, moins cloisonnés dans des trucs. Je me dis qu'il y a 10-15 ans même dans les délires de streaming il fallait acheter les disques à chaque fois, là tu peux tout streamer quasiment. Avant il fallait être très impliqué dans certains cercles pour être au courant. Maintenant c'est beaucoup plus simple d'avoir accès à un maximum de musique et de se rendre compte qu'on kiffe d'autres styles que ce qui est proposé en France habituellement. Après moi c'est surtout les trucs anglais qui m'ont parlé.
Comme un passage de Berlin à Londres ?
BM : Je pense qu'à un moment Paris a voulu être Berlin. Tout copier sur Berlin. Et encore aujourd'hui, c'est ces équipes là et ces sons là qui contrôlent la zone. Leurs soirées sont remplies tout le temps. C'est grave cool, j'y vais, je crache absolument pas dessus. C'est leur identité, la techno minimaliste, avec le pied absolument énorme qui défonce tout. Je respecte à fond, c’est propre. Mais du coup, plein de gens qui faisaient des trucs un peu plus breakés s'y sont mis aussi. À un moment donné les gens faisaient des trucs qui n'avaient pas de public, donc ils se sont tournés vers d'autres choses qui pouvaient toucher plus de gens. Nous on a la chance d'avoir Internet et donc d'avoir moins besoin de ça. On est prêts à inviter des Anglais et faire une belle fête, quitte à perdre un peu d'argent au passage. Même si on est pas beaucoup écoutés en France on est écoutés ailleurs. Mais même ici je sens que les choses bougent, ça commence à bien être brassé.
Tu parles de remplir un club avec Boukan, c'est quoi le public ?
BM : Le public c'est les potos. Ceux qui veulent danser, qui veulent kiffer, qui veulent pas danser face au DJ mais qui veulent partager un moment, des gens qui aiment la drum, qui n'ont pas peur d'une musique qui sortent un peu des carcans. Dans nos sets on passe beaucoup de choses. On peut passer de la house, du r'n'b, on peut partir sur du dancehall, revenir sur du footwork. J'ai joué une fois dans un endroit qui s'appelle Le Dépôt, un after gay bien hard. Et dans ce club on voyait pas le DJ. Ça, c'est parfait.
Il y a une soirée où tu as réussi à atteindre cet état d'osmose avec les gens ?
BM : La première teuf qu'on a faite avec le YGRK Klub. Aux abattoirs de Cergy, c'était même pas une soirée mais un après-midi, 16h-minuit, avec tous les potes. On avait passé une semaine avec les mecs des Abattoirs qui nous avaient grave aidés et c'est la meilleure teuf qu'on n'ait jamais faite. On n'a jamais fait un bordel aussi clean depuis. Après en terme d'ambiance, la 75021 au 6B, c'était fou.
C'est quoi "ta grande ambition" avec Boukan ?
BM : J'aimerais qu'on puisse sortir les releases des potos. Faire tourner la came. Et organiser un festival fou à la base de loisir de Cergy. Je suis sûr que c'est possible. Pour rendre notre ville fière de nous.
Bamao Yendé nous a fait parvenir en exclusivité "Mbiba Fala" en featuring avec GAMA et Biscuit qu'on vous laisse écouter ci-dessous, également disponible ici. Boukan Records invite Puzupuzu et Crystal Mess le 6 avril à la Java, toutes les infos ici.
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