(c) Shawn Brackbill
Sur "All The Same", le morceau de clôture de leur second album Days (2011), les New-Jersiais de Real Estate parvenaient à sublimer leur quotidien pavillonnaire avec ce qu'il faut comme boucles de guitares carillonnantes et de mélodies entêtantes pour laisser la sucrerie en bouche. Mais surtout, la répétition donnait au morceau une allure presque épique, conférant à sa fadeur d'apparence des atours bien plus engageants qu'ils n'en avaient l'air de prime abord.
C'est la même lassitude des décors et des lieux, le quadrillage de l'imaginaire qui ont toujours permis aux chansons de Real Estate de jouir paradoxalement d'une liberté dans leur carcan. Depuis ses débuts en 2009, le groupe verse dans une sorte d'anti-escapisme, s'émerveillant de son propre environnement direct, trouvant, un peu à l'image du Paterson de Jim Jarmush (lui aussi natif du New Jersey, tiens tiens), de la poésie et de la transcendance dans un quotidien des plus banals.
Alex Bleeker, Matt Mondanile, Martin Courtney
En cela, ils ne sortent jamais de leur ville natale (même si ils ont rapidement bougé à Brooklyn), dont il faut tout de même signaler l'importance dans leur musique. Les trois membres fondateurs du groupe, Alex Bleeker, Matthew Mondanile et Martin Courtney, viennent de Ridgewood, petite bourgade du New Jersey qu'on imagine à la fois idyllique (la ville a été élue une des plus agréables à vivre aux Etats-Unis) et d'un ennui mortel (pour exactement la même raison). Et lorsqu'on écoute leur musique, il est presque impossible de ne pas se départir d'images pastorales ; une imagerie qu'ils déclinent volontiers dans leurs clips, photos de presse, pochettes de disque - soit par choix esthétique, soit par influence inconsciente et directe.
De cet environnement direct et non fantasmé naissent ainsi "les montagnes de feuilles d'érable", les acides en forêt, les balades sans fin ni but en voiture... Des visions d'horreur si on rêve un tant soit peu d'absolu, mais qui ont le mérite de reposer sur une quiétude et une humilité de charme. Car plus encore que la normalité, c'est sur le tranquille réconfort de cette même normalité que repose l'attrait de la musique de Real Estate. Une musique qui n'a pas peur d'aller chasser sur les terres de l'ennui, car le groupe sait que c'est une denrée bien trop rare et précieuse aujourd'hui.
Cet ennui, Real Estate, à travers les compositions du chanteur-guitariste Martin Courtney (dégaine de libraire bayrouiste fan de Felt sur qui on ne miserait pas cher au fight club), choisit de le chérir et de le polir comme on polirait une pierre précieuse. C'est pour ça que la jangle pop sans affects ni tourments apparents de Real Estate ne bouge pas d'un iota depuis des années ; le groupe a compris qu'il lui fallait préserver sa simplicité, la ciseler plutôt que la subvertir.
On la retrouve dans la subtilité des arrangements et des ponts, dans les breaks de batterie de "Darling" du nouvel album, dans la ligne claire des arpèges de guitare de Matt Mondanile autrefois, qui a quitté le groupe récemment pour se consacrer sur son projet solo Ducktails. Il est aujourd'hui remplacé par le songwriter Julian Lynch, qui s'applique à récréer à la note près les accords vaporeux et lumineux de son prédécesseur alors que le groupe se retrouve pour la première fois éclaté - le bassiste Alex Bleeker a en outre déménagé en Californie.
Une nouvelle mélancolie naît alors. Plus uniquement celle du temps qui passe, mais aussi, pour la première fois, celle de la perte de contrôle inhérente aux impondérables de l'âge adulte. Le sentiment de ne plus être en maitrise du cadre chatoyant que l'on s'était construit suite aux amitiés qui se délitent, mais que l'on fait tout de même mine de conserver.
Ces nuisances se manifestent aujourd'hui par endroits chez Real Estate à travers certaines incursions soft rock un peu disgracieuses, certains pas de côtés pas forcément très heureux (la parodie des Byrds sur "White Light" notamment). Un tableau pour la première fois craquelé donc, dont on regrette les errances passées dans lesquelles on voudrait toujours se lover, tout en gardant dans un coin de tête que ça n'est peut-être désormais plus comme ça que cela fonctionne.
Le nouvel album de Real Estate In Mind est sorti le 17 mars sur Domino Records. Il est en écoute intégrale ci-dessous :
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