S'il y a un terrain musical peu emprunté par les formations françaises, c'est bien celui de l'indie rock aux guitares saturées et au cœur brisé. Quelque part entre le confessionnal mystique de K Records et le son slacker des 90's, le Bordelais Sam Fleisch fraîchement signé chez Teenage Menopause a réussi mine de rien un disque de rock à guitares, sincère, émouvant mais pas maniéré pour un sou. À l'heure où de l'autre côté de l'Atlantique, les citations du rock de Sonic Youth ou Dinosaur JR. ressemblent à des pastiches beaucoup trop premier degré pour être honnêtes, c'est un petit songwriter à lunettes qui a galéré trois ans pour sortir son disque qui tire son épingle du jeu. Sincère mais pas mégalo, il nous explique pourquoi ce disque ne parle que de lui, ou presque.
Ça faisait un moment que j'entendais parler de ce disque. Tu peux nous expliquer pourquoi il y a eu un tel décalage entre l'enregistrement et la sortie ?
C'est très simple. Au début c'était Animal Factory, un label de Bordeaux (JC Satan, Petit Fantôme, Crâne Angels) qui devait s'en occuper et le sortir. Et puis il a lâché l'affaire, il ne voulait plus le sortir. On avait le master, tout était prêt mais il a fallu attendre. Le disque a été fini il y a deux ans. Mais je dis à tout le monde une année différente (rires). On a fini d'enregistrer en 2013, il a été masterisé seulement un an après.
Et ça ne te déroute pas trop de sortir un disque aussi longtemps après sa conception ?
Non pas vraiment. J'ai appris à prendre mon mal en patience. Mais j'ai commencé à jouer les chansons avec un groupe. Certains musiciens viennent d'arriver donc on a une autre approche des morceaux, même s'ils sont un peu vieux, on les redécouvre.
Il y a deux facettes dans le disque : une liée à l'énergie et l'autre plus liée au climat et au sentiment. Je me demandais comment s'était construite ton approche de la musique et du songwriting.
J'écris toujours les morceaux avec ma guitare électrique. Je ne travaille pas avec un ordinateur quand j'écris des morceaux. Je bosse sur les arrangements vraiment en dernier. Quand on a enregistré le disque, j'ai d'abord fait toutes les prises tout seul avec une guitare folk. On a commencé à enregistrer le disque avec Stéphane Gillet dans ma chambre d'enfant à Mont de Marsan et ensuite on a retracé un peu mon histoire à travers des lieux et des chansons, celle qui m'a mené à faire ce projet à Bordeaux aujourd'hui. On a fait un morceau chez ma pote Julie (Lispector). Le 3e titre du disque "Our Hearts" lui a été enregistré au Café Pompier (le café de l'école de Beaux Arts de Bordeaux), c'est pour ça qu'on entend un brouhaha derrière de gens qui commandent des sandwichs le midi. Il y a un vrai cheminement dans l'enregistrement qui colle au côté autobiographique des paroles et des morceaux.
Tu as commencé ce projet solo alors que tu jouais encore en groupe avec les Crane Angels.
Oui ça fait longtemps que je trimballe ce projet. Ca s'appelait Docteur Cosmos au début, quand j'ai rencontré la bande d'Iceberg qui faisait des soirées, des compiles, des fanzines. Ils m'ont invité à venir jouer live et ça m'a donné un coup de pied aux fesses. Au début, c'était juste des soirées unplugged, chacun jouait 2/3 morceaux à l'Inca (un bar à Bordeaux qui n'existe plus).
Tu retiens quoi de ces expériences collectives (Iceberg, Crâne Angels) aujourd'hui que tu es en solo ?
Dans ces projets, on était beaucoup et c'était une synergie bizarre. On a essayé de garder un esprit d'équipe mais c'était compliqué de mobiliser tout le monde au bout d'un moment et l'énergie collective s'est essoufflée. Il y avait un leader, Micka (Lonely Walk, Monsieur Crane, Strasbourg) mais il a quitté le collectif et nous a laissés un peu seuls. Mais on a encore quelques projets de compilations ou de soirées. Après le collectif est né aussi dans l'euphorie de notre arrivée à tous à Bordeaux, là on s'est un peu ramollis, on est un peu pépéres quoi.
Tu peux nous parler de ton arrivée à Bordeaux justement, qui semble avoir pas mal marqué ta musique ?
Oui je suis arrivé pour faire mes études d'anglais. Il y avait déjà toute une scène DIY. Le bar l'Inca ouvrait sa cave super facilement et j'y ai vu beaucoup de groupes. Pas mal de gens signés chez K Records notamment y ont joué.
K Records, l'antifolk ça t'a marqué ?
Oui beaucoup. Aujourd'hui j'écoute moins les signatures K records que par le passé mais j'adore toujours Adrian Orange par exemple. Il a fait un album génial sous le nom Thanksgiving, qui m'a beaucoup influencé. J'ai été pas mal marqué par Palace Brothers aussi.
Il y a un côté très 90's dans le son de ton disque. C'est l'expression délibérée d'une certaine nostalgie ?
Ce n'est pas de la nostalgie, c'est juste la musique que j'écoute et le son de guitare que j'aime. J'adore le son de Pavement ou Polvo par exemple. J'ai eu pas mal de temps par la force des choses pour réfléchir à ce disque et le pourquoi du comment. Donc je peux analyser les choix qui y sont faits de manière assez claire.
C'est un des rares disques français que j'ai reçu ces derniers temps et qui est chanté en anglais. Ca ne te touche pas ce retour à la langue française ?
Non pas du tout. Je n'ai quasiment jamais écouté de musique chantée en français. Peut-être que quand je serai plus vieux je m'exprimerai mieux et je m'y mettrai. Moi j'ai grandi avec Sonic Youth. Mes parents écoutaient Neil Young, The Clash. Bon j'ai été un peu marqué par "Pull Marine" d'Isabelle Adjani j'avoue (rires). Après c'est aussi une façon de se cacher derrière l'anglais sûrement.
(c) Philippe Levy
Actuellement ce choix du français rentre aussi pour pas mal de gens dans une certaine mode qui répond à des projets de carrières. Est-ce que toi de ton côté tu te fixes des objectifs à atteindre ? Tu as touché avec les Crane Angels le côté professionnel de la musique...
Pour l'instant la musique reste ma passion. Je ne serais pas contre être payé mais je ne suis pas dans l'objectif intermittence. Quelqu'un va nous aider à caler des tournées. On fait ça petit à petit. Notre batteur est biologiste moléculaire et tous les matins il est au labo, donc on tourne pendant les vacances. Pour moi on a le temps. Avec les Crane Angels, on était 10 à 12 sur la route. Mais c'était surréaliste comme projet. On ne réalisait pas ce qui nous arrivait, à onze potes sur la route c'était dingue. C'était plus impersonnel en même temps d'être si nombreux, on se mettait moins en avant.
Le texte qui accompagne le disque parle de "la fin de l'innocence". Tu peux m'en dire plus ?
Bonne question (silence). C'est un disque très introspectif mais qui me voit prendre les choses plus au sérieux. J'ai changé de nom, avant le projet s'appelait Nunna Daul Isuny, un nom plutôt imprononçable, tout simplement parce que je n'y avais pas réfléchi. J'ai pris une identité plus simple pour passer une étape et puis c'était une façon aussi de mettre derrière moi des années un peu galère où j'étais seul alors que tous mes potes avaient leurs groupes tournaient, sortaient des disques.
Il y a beaucoup de toi dans ces morceaux donc. Comment tu imagines la suite si ce disque raconte ta vie jusqu'ici ?
Je raconte des histoires, je m'invente des personnages. Mais je ne sais pas trop encore pour la suite. Il n'y a pas que des histoires autobiographiques, il y a aussi des regards que je porte sur des situations, des idées. Je pense que je vais continuer comme ça en jouant plein de petits personnages différents.
Sam Fleisch sera le 18 mars au Trabendo aux côtés de Moon Duo, Sierra Manhattan et Gone With The Weed pour une soirée organisée par nos soins, toutes les informations utiles sont ici.
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