Jouons à un jeu, écoutons et apprécions ce nouvel album de Forever Pavot sans sortir notre bite de journaliste et nos références (ça marche aussi pour les femmes). Parce que la force de cette Pantoufle réside avant tout dans son pouvoir d'évocation, la création d'une atmosphère qui efface subtilement les repères (de temps, de lieu, de visages même). Plutôt que de ressortir la collec' de timbres du mélomane averti, il faut apprécier comme un enfant ce disque dont pour moi le véritable équivalent en 2017 a été le polar "Le Caire Confidentiel". On y voyait des inspecteurs, des pourris, des meurtres, des néons, du sang, de la corruption et aussi une certaine forme d'humour ultra sardonique. Pendant deux heures et quelques de visionnage, je n'ai jamais eu envie de savoir dans quel film avait joué machin et si tel plan était ou non un hommage à Melville. J'ai regardé un film parce qu'il m'emmenait dans un ailleurs, qu'il me partageait la vision du monde, de la vie et de la mort d'un artiste. Et c'est encore ce que je ressens en écoutant "Les Cagouilles" ou la "Soupe à la grolle". Qu'importe de savoir si Emile Sornin est né à Paris, a joué du hardcore ou appris le biniou avec des moines trappistes belges. Ce disque existe sans commentateurs (que celui qui ne s'est jamais contredit me jette la première Leffe). Et le pire qui pourrait lui arriver serait qu'il soit dépiauter comme un lapin pour qu'on regarde ce qu'il y a dans ses entrailles. 


Adrien Durand

Ennio Morricone / François de Roubaix / David Axelrod / Wendy Carlos / Mort Garson et tout un tas d'autres trucs hyper pointus et abscons de library music et de musique de film 70's. Listons toutes les influences et citations de La Pantoufle d'entrée de jeu, comme ça c'est fait. Parce qu'au moment où le nec plus ultra du cool techno est de passer des vieilles galettes EBM, que les labels les plus passionnants de la planète - de Dark Entries à RVNG Intl. - sont au moins en partie dédiés à la réédition et que tout le monde est occupé à se pignoler sur des inédits de Pepe Braddock et de Moondog, le procès en récupération qu'on intente à droite et à gauche à Emile Sornin est un peu raide. 


Et se focaliser sur les mille et une références de Forever Pavot, c'est passer à côté de l'absurdité triste et rigolarde - paradoxalement assez élégante - qui traverse le disque, du "Beefteak" d'introduction à "La Belle Affaire" qui clôt le tout. Plutôt que la captation d'héritage library-music, ce que le musicien a récupéré de la musique 70's c'est ce truc très français de désespoir léger, d'angoisse vaporeuse et décontractée, sourire en coin et cheveux au vent. 


Comme pour nous dire "hé les mecs, c'est pas si grave tout ça." On transmet aux philatélistes. 


Arthur Cemeli

La Pantoufle est disponible chez Born Bad Records

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Crédit photo : Raw Journey