"Sors de ce corps, Dean Blunt" : c'est un peu comme ça que l'on reçoit la musique de Yves Tumor lorsqu'on l'entend pour la première fois. Mais l'affaire est, comme souvent, un peu plus compliquée que ça. Car si l'ami américain partage avec la moitié de Hype Williams un certain goût pour l'évitement et l'enfumage, une manière de distordre une esthétique soul lointaine et de laisser planer le doute quant à la provenance de la musique (samplée ? pas samplée ?), celle-ci choisit plus volontiers les pas de côtés et les sorties de piste inégales et difficiles à suivre, n'hésitant pas à tâter parfois très franchement de la noise et de la paranoïa urbaine tendance digitale et numérisée - hypermoderne, diront certains.
Un peu Blunt donc, mais aussi un peu James Ferraro, un peu Arca, un peu Lotic : en fait, tous les élements sont là pour faire de la musique de Yves Tumor un pont parfait érigé à équidistance du bullshit et du sublime - et on sait que la frontière est souvent mince entre les deux.
On l'avait d'abord découvert dans le roster de Dogfood Music Group de Mykki Blanco, lequel avait sorti une compilation il y a deux ans remplie de noise et de kétamine arty. Les morceaux de Yves Tumor dessus y étaient abrasifs, ravagés, sans lien aucun avec ce qu'il peut produire aujourd'hui. Depuis, il est passé par l'écurie noire et allemande PAN, y sortant l'album Serpent Music en septembre dernier. Un disque aussi frustrant que stimulant, rempli de trous d'airs, invitant à la défiance tout autant qu'à la déférence - ce que confirme son nouveau morceau "E.Eternal" en écoute ci-dessous, ballade médéviale exécutée avec un sérieux monacal et dont on ne sait si on doit en rire ou s'en réjouir. Bref, si tout ça est bien sérieux ou si on ne se foutrait pas allègrement de notre gueule.
À vrai dire, on ne sait pas trop quoi faire d'Yves Tumor pour l'instant : disons qu'il s'ajoute à la longue liste des artistes contemporains du presque (une notion qu'on a totalement inventée de toute pièce) cités ci-dessus, lesquels semblent toujours sur le point de basculer, que ce soit dans l'happening fumiste, la grosse pantalonnade arty ou la modernité faite pop. Des artistes chez qui, entre le breakdance dans leur propre caca et le futur de la pop music, le franchissement semble éternellement en suspens.
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