Dean Blunt fait partie de ces génies mi-fumistes, mi-rois de l'enfumage (ce qui est un peu la même chose, certes), enclins à multiplier les déclarations tapageuses, les jets de poudre aux yeux et les vrais/faux happenings à un rythme régulier (le summum ayant été atteint avec la parution il y a quelques mois du dernier disque de Hype Williams, son duo formé avec Inga Copeland, autre mystificatrice notoire - on se souvient notamment de sa prestation "rien à foutre, je sors mon triangle" à la Red Bull Music Academy l'année dernière).
Pour le pire et le meilleur (parfois - souvent - les deux en même temps), la musique du Londonien s'approche à l'aune d'une modernité souterraine qui ne saurait s'exprimer qu'au passé, constamment dans la citation, les freestyles plus ou moins hasardeux lâchés dans la nature et la convocation constante de souvenirs musicaux appartenant à un patrimoine anglais commun (ses samples de Pink Floyd, ses emprunts aux Pastels, à Kate Bush - sur sa nouvelle mixtape, je suis presque sûr de reconnaitre à un moment les héros indie oubliés The Wake). C'est d'ailleurs ce presque qui constitue le nerf de la guerre de l'œuvre de Dean Blunt jusqu'ici : presque brillante, presque inécoutable, presque tartufe et presque visionnaire à la fois, sa musique ne semble vouloir (pouvoir?) se déployer que dans l'artifice, le périssable et le pied de nez adressé à son auditoire.
skywalker freestyle [babyfather]
03:54
Avec son alias/groupe Babyfather, Dean Blunt semble avoir dernièrement trouvé la parade et le terreau idéal à ses envies d'expérimentations moqueuses - et définitivement tourné la page Hype Williams. Après avoir sorti un album le 1er avril dernier (on se refait pas), sorti plein de morceaux sur Soundcloud pour les supprimer quelques jours plus tard, multiplié les collaborations (
Yung Lean,
Arca - autre parangon -autoproclamé cette fois- de modernité), le vrai/faux groupe a balancé vendredi (et avec la complicité du label
Hyperdub) une mixtape entière gratuitement
via Wetransfer (et dont on écoute trois extraits en bas d'article), mettant en avant le caractère éphémère de la chose, semblant pas mal se foutre de savoir si elle sera avalée, digérée puis rejetée par l'Internet-monde dans la foulée. Avec Dean Blunt, seul semble compter l'acte créatif : pas besoin de le sacraliser ni de le placer dans la postérité, et c'est d'ailleurs en cela qu'il peut être considéré comme absolument contemporain.
Jouant à plus stupide qu'il ne l'est vraiment, Dean Blunt incarne le personnage du drogué idiot (ce qu'il n'est pas, ou alors pas
seulement), ce qui lui permet dans le même geste de ne pas théoriser sa démarche frontalement tout en la conceptualisant l'air de rien (une de ses premières mixtapes s'appelait d'ailleurs
The Attitude Era),
de discourir de manière plutôt éclairée sur Black Lives Matter et de sortir de la musique à un rythme effréné sans se soucier de la justifier. Assez essentiel dans son rapport effrité au monde (et ce qu'il dit de la modernité en musique), n'hésitant pas à faire du momentané et du résidu le centre même de son travail, Dean Blunt peut aujourd'hui ainsi prétendre au trône du roi lo-fi clairvoyant - tout en continuant à lorgner sur celui de batteur de couilles complet.
La dernière mixtape de Babyfather
419 est sortie vendredi dernier. On en écoute trois extraits ci-dessous :