Passé par tout un tas de formations fort recommandables, aux commandes d'un des labels les plus enthousiasmants du côté noise de la chose indie (Root Strata, responsable des assauts de Oneohtrix Point Never première période mais également de gros poissons comme les Yellow Swans de l'agitateur fou Pete Swanson, Grouper ou The Alps - dont il est également membre), Jefre Cantu-Ledesma a toujours été un de ces types de l'ombre, peu identifiés mais accompagnateur fidèle des tournoiements musicaux de la côte ouest américaine de ces dernières années. Après une grosse crise d'inspiration et un épisode difficile dans sa vie personnelle en 2015, le Californien a choisi de laisser filtrer la lumière à travers les nuages de bruit et de fureur de sa musique, en publiant la même année sur Mexican Summer A Year with 13 Moons, album dont on vous disait à l'époque qu'il était "peut-être bien le disque de harsh noise le plus romantique et le plus sentimental jamais enregistré".
Par le passé, on a tôt fait de ranger Jefre Cantu-Ledesma aux côtés d'un Daniel Lopatin ou d'un James Ferraro, par le commentaire en creux qu'il pouvait nous offrir (ou surtout qu'on voulait qu'il nous offre) sur notre époque régressivement nostalgique. Mais c'était oublier que Jefre Cantu-Ledesma travaillait sa nostalgie de manière très naïve et spontanée. L'homme était peut-être en définitive plus proche de jeunes gens au vague à l'âme non théorisé comme en ramènent régulièrement les embruns sur le rivage des côtes californiennes.
C'est ce qui transparait en tout cas sur son nouvel album, On The Echoing Green, qui vient de paraître sur Mexican Summer et qui ramène encore plus d'autofiction sentimentale dans l'équation que son précédent album – tout du moins dans le son. Régression qui le fait aujourd'hui revenir sur les traces de la chillwave et des groupes de rock abrasifs comme en a connue la Californie de 2011 ; on pense à No Age, mais aussi à ces moments où, dans un tout autre genre, Prurient s'autorisait à ramener des pincements au cœur dans ses torrents de ferraille, notamment sur un morceau comme "I Understand You", paru en 2013.
Sur ce nouvel album de Jefre Cantu-Ledesma, on retrouve Byron Westbrook à la guitare et au piano, autre force vive ambient californienne dont on a déjà parlé en ces pages et qui travaille lui aussi les souvenirs de manière diffuse et elliptique, pour n'en retenir que de vagues segments mémoriels cotonneux et languissants. Le morceau "A Song of Summer", en écoute ci-dessus, est à ce titre sans doute un des morceaux d'été les plus abrasifs et les plus prégnants que l'on ait été donné d'entendre ces dernières années - et tant pis si ça fait beaucoup de superlatifs pour un seul homme. C'est un morceau dont on n'arrive pas trop à se défaire, sans doute parce qu'il dit son amertume de manière très frontale et étirée, et qu'il n'hésite pas pour cela à employer les formes les plus pop, immédiates et savamment sucrées pour y parvenir.
Le nouvel album de Jefre Cantu-Ledesma, On The Echoing Green, est sorti le 16 juin sur Mexican Summer. Il est en écoute intégrale ci-dessous et se commande ici.