Passez les fringues, l'allure et les concerts Club Med: vous avez avec Dan Deacon un prototype. Un prototype de ce mouvement tectonique essentiel survenu autour de l'orée des années 2000 (2003 exactement, si l'on se base sur son premier EP Green Cobra Is Awesome vs. the Sun), et qui a vu passer l'étalon esthétique du state-of-the-art des ordinateurs à la quincaillerie généralisée (Animal Collective en premier sur la liste), et la norme pop du clivage éternel entre les hommes-machines et les hommes-guitares à un bordel sans nom où des furieux duos basse-batterie fringués en fluo se sont mis à faire danser des cortèges d'hommes à barbe intoxiqués à la limonade bio.
C'est d'abord arrivé aux Etats-Unis et c'est tombé tout droit dans l'oreille d'un gamin bizarrement attifé de Long Island, qui bataillait alors entre ses envies de Grande Musique (il a étudié la musique électroacoustique à SUNY Purchase, NY) et le rêve de faire passer la pop électronique au niveau supérieur. Obnubilé par Terry Riley, travaillé au corps par l'esthétique mutante de la nouvelle génération noise en générale (celle qui dessine, anime, recycle et bidouille les Casio sans distinction) et le collectif Paper Rad en particulier (dont l'émergence musicale s'appelle Extreme Animals), Daniel Deacon a accouché d'un adorable monstre, taillé pour l'ère de doute et d'insécurité en train de débuter. Comme un kit de survie offert à la génération de gamins précaires et surdiplômés en train d'émerger, la musique de Dan Deacon contient tout ce qu'il faut pour lui faire tenir le coup: les mélodies doudou pour se lover, la brutalité du boucan pour se défouler et la grandiloquence solaire pour léviter.
De manière réellement surprenante et sans rien changer de son systeme D (les oscillateurs électroniques glanés dans les décharges, la vie en communauté à Baltimore) il a élevé sa barque (que dis-je, son navire) vers des hauteurs qui auraient été inenvisageables il y a encore une dizaine d'années, notamment en signant pour son nouvel America avec l'institution Domino (Franz Ferdinand, Dirty Projectors, Pavement). Des one-man show exutoires dans les caves d'il y a quelques années, il est passé aux cérémonies à grande (voire très grande) échelle, où ses symphonies pour bruits de synthé écrasés servent moins de beaux tableaux à admirer que de moteurs à réaction pour décoller - du tarmac, du vieux cirque de concert rock, pourquoi pas, quelques dizaines de minutes, de sa peau. Vieux routard weirdo qui a dû subir son propre lot de vertes et de pas mûres, Deacon y joue moins le rôle d'un Maître Loyal que d'un vieux pote croisé un soir d'hiver dans une fête un peu ratée, dont la propre vie sentimentale est un vaste et mystérieux désert mais qui vous pousse quand même sur le dancefloor quand passe son morceau préféré de Brandy & Monica. Des deux côtés de la lisière, c'est l'un des seuls spectacles merveilleux que le triste empire indie a à nous offrir à ce moment crucial de sa déconfiture, et c'est bien moins trivial que ça en a l'air. Comme il l'explicite à merveille sur les suites ambitieuses et pétries de Great American Music (axe Charles Ives - John Fahey - Steve Reich) d'America, Deacon est un homo americanus avant tout. A ce titre, il est à l'avant-poste du shift civilisationnel qui est en train de faire muter les jeunesses occidentales du monde entier de cohortes arrogantes et conquérantes en nuées au coeur blessé.
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