C’est l’une des claques de cette fin d’année : la sortie de Super Bravo voit passer Balladur d’un truc mal identifié, en équilibre instable entre cold wave, shoegaze et electronica, à un cocktail parfaitement dosé de pop de la zone mondiale, assez personnel et explosif pour qu’on ne cherche plus à lui coller la moindre étiquette. Avec pour cheval de Troie l’hyper-addictive "Michela" et son clip signé Hugo Saugier, dessinant un axe Cambodge-Villeurbanne aussi déroutant que fidèle à l’esprit syncrétique du duo. On a rencontré Romain de Ferron et Amédée de Murcia en marge de leur passage au Petit Bain, pour parler de leurs (faux) paradoxes et de leurs (vraies) passions, de l’IDM à Adriano Celentano en passant par la cuisine de grand-mère.
En faisant le tour de vos nombreux projets solo et communs (Insiden, Somaticae, Roger West, Omerta, Vinci, Sacré Numéro), j’ai l’impression que vous venez plutôt des musiques expérimentales et improvisées, ce qui peut paraître éloigné de l’identité pop de Balladur.
Amédée de Murcia : Pour ma part, j’ai toujours écouté de la pop en même temps que j’écoutais de la musique expérimentale. J’ai juste commencé dans l’expé en tant que musicien.
Romain de Ferron : Pareil pour moi. Du coup ça nous paraît logique de faire les deux.
Ça suppose quand même une toute autre approche de la création.
RdF : C’est sûr. Même si aujourd’hui, la plupart des gens que nous côtoyons ne sont pas enfermés dans l’un ou l’autre. Je ne connais personne qui soit capable d’écouter uniquement de la noise en boucle. (Rires.) Après, avec Balladur, on essaye de tordre la pop pour que ça ressemble un peu aux autres choses qu’on aime. Souvent, quand je réécoute nos disques ou nos concerts, je suis surpris par ce côté vachement pop. Ça l’est moins dans mon esprit.
Vous avez suivi une formation musicale "sérieuse" ?
RdF : J’ai passé un master de recherche en musicologie, à Grenoble puis à Lyon, sur Charlemagne Palestine. Ça m’a occupé pendant un bout de temps. En musicologie, tu apprends les cadres, et la musique expé était justement un moyen d’en sortir. A Grenoble, on a passé pas mal de temps au 102, où on a découvert la scène des musiques improvisées, Jérôme Noetinger et consorts. Amédée (qui s’est absenté quelques minutes, ndr.), lui, est un autodidacte. Il était à fond sur l’IDM à la grande époque d’Autechre et Aphex Twin. Il s’est formé tout seul dans sa chambre avec son PC.
Sachant que vous collaboriez déjà ensemble, notamment au sein d’Insiden, comment est née l’idée de monter Balladur et comment vous êtes-vous réparti les rôles ?
RdF : On a commencé par écrire une chanson pour le fun, qui est devenue "Pretty Face". Ça nous a bien plu et on a continué. Rien n’était vraiment prémédité.
AdM : Dans Balladur, même si c’est assez mélangé, Romain s’occupe plus des mélodies, et moi plutôt du son.
Le premier album (Plage Noire, Plage Blanche, 2015) était très délié, le second me semble avoir une identité mieux définie. En quoi le fait de tourner et de solidifier le groupe a joué sur votre manière de composer?
AdM : Il nous a fallu un certain temps pour être à l’aise avec la manière dont on voulait enregistrer et faire du live. Le premier album a été créé sur l’ordi, avec plein d’effets, sans penser à la manière de le retranscrire. A l’inverse, tous les morceaux de Super Bravo ont été imaginés pour être joués en live. Un peu à la manière d’un groupe de rock, en se forçant à limiter notre outillage.
L’un des moyens que vous utilisez pour subvertir la pop, c’est d’utiliser plusieurs langues : le français, l’italien, l’allemand, même l’indonésien.
RdF : Déjà, chanter en anglais me semble toujours bizarre, parce que j’ai un accent de merde. Mais chanter en français est bizarre aussi. Alors pourquoi pas d’autres langues ? L’indonésien, c’est parce que je suis parti en voyage là-bas pendant deux mois et que j’ai un peu appris la langue. Ils ont plein de chansons rigolotes, hyper mélo, bourrées de vibrato, dont je me suis inspiré pour écrire Aku. Quant à l’italien, c’est parce que j’ai écouté pas mal de pop 60’s italienne, comme Adriano Celentano, l’équivalent de notre Johnny national.
AdM : Pour le français, on a aussi été influencé par des découvertes récentes, comme Ventre de Biche ou Noir Boy George, qui l’utilisent un peu comme une langue étrangère, avec des phrases très directes, peu de fioritures. Sur Super Bravo, c’est la première fois qu’on écrit nous-mêmes nos textes. Avant, c’était une pote (Camille Perton, ndr.) qui s’en chargeait. Ses paroles étaient plus travaillées et fournies, et du coup moins faciles à chanter.
Votre ouverture ne se limite pas aux langues. Il y a aussi des clins d’œil à la musique africaine ou au dub sur le disque.
AdM : C’est une démarche sincère, qui reflète ce qu’on aime en ce moment. Je fais souvent le parallèle avec la bouffe : c’est chiant de ne faire que de la cuisine méditerranéenne, il faut ajouter des épices, essayer des mélanges. Ce que j’aime beaucoup dans la pop, ce sont les feedbacks permanents. Par exemple, on a écouté plein de groupes indonésiens qui essayent de faire de la pop occidentale, mais au final sonnent différemment - ça sent le clou de girofle, quoi. En tant qu’occidental, je trouvais ça marrant d’imiter ces groupes, qui eux-mêmes en imitent d’autres. L’histoire de la musique est pleine de va-et-vient culturels.
On peut tout à fait apprécier votre musique au premier degré, mais en même temps vous semez des indices qui peuvent faire douter : le fait de s’appeler Balladur, de sortir un disque nommé Super Bravo, etc.
AdM : Pour moi, c’est un truc un peu bédé, cartoon. J’ai été très fan de Telex et j’aime bien retrouver cet aspect, pas dans les sons, mais dans l’intention.
RdF : C’est pareil quand j’écoute Adriano Celentano : d’un côté, c’est un peu abusé, mais en même temps, c’est tellement beau !
AdM : Ou quand ta grand-mère cuisine en mettant des tonnes de sucre et de beurre.
Super Bravo est disponible sur le bandcamp du Turc Mécanique.
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