Hier sortait le troisième album de Lady Gaga, Artpop chez Interscope Records (groupe Atlantic, détenu lui-même par Warner Music Group). Dispo dans tous les H&M pour $9.95, revendiquant déjà des ventes anticipées de 350 000 copies pour cette première semaine aux US & A, Artpop contient pour ceux à qui ça n'a pas échappé, un petit bout de chez nous!
Plus exactement son deuxième morceau, "Venus", commence par un motif que nous connaissons bien pour en avoir longuement discuté avec ses diggers originaux, sagement emprunté par la queen pop au duo français Zombie Zombie. Il y a un an tout rond, Etienne Jaumet et Néman sortaient en effet chez Versatile Rituels d'Un Nouveau Monde, une exploration électronique notamment ponctuée par une référence à "leur maître à penser", Sun Ra. Un clin d'oeil sympatoche dans le titre, "Rocket #9", et vite fait dans la ligne mélodique au morceau du jazzeux mystique, sorti en 1973. Comment se passent les négociations dans ces cas-là? Qui appelle qui? Qui signe quoi? Qui vole qui? On a demandé le déroulé de l'histoire aux principaux intéressés.
Comment avez-vous appris la nouvelle?
- Etienne : C’était il y a presque un mois. On reçoit une convocation urgente de Gilbert (boss de Versatile) et Ygal (Versatile) dans les bureaux du label, pour tôt le lendemain matin sans pour autant nous dévoiler pourquoi.
Alors bien entendu, ce fut assez excitant d’emblée ! Ils nous demandent alors de nous asseoir et nous font écouter le morceau de Lady Gaga sans nous dire de quoi il s’agissait juste pour avoir le loisir de filmer notre réaction... Et là : stupeur ! Hahaha ! Pour ma part, j’ai tout de suite eu la sensation qu’il s’agissait d’un gros truc, mais sans deviner cependant de qui était cette "reprise". Là où je me suis vraiment dit qu’il pourrait y avoir des conséquences pour nous, c’est quand j’ai entendu le sample de nos voix derrière.
Avez-vous su comment le sample s'est retrouvé là?
- Neman : On ne sait pas vraiment en fait, sauf que le producteur du morceau est apparemment un petit jeune de Nantes, Madeon. Ça semble probable qu’il connaisse notre musique ou un des remixes de notre track, celui de Joakim ou de Gesaffelstein. Et puis surtout Gilbert avait insisté pour sortir l'acapella des voix sur le maxi de Rocket #9. En tout cas c’est à ce Madéon qu’il faut demander, il est surement le seul à connaître le fin mot de l’histoire.
Question un peu juridique: Est-ce que Sun Ra est crédité sur votre reprise de "Rocket #9"? Comment fait-on juridiquement pour reprendre un motif? Comment les droits sont-ils versés? Comment Sun Ra est crédité, comment tout ça s'écrit?
- Neman : Oui bien sûr Sun Ra est crédité sur notre album! Pour faire une reprise, il faut juste demander l’autorisation à l’éditeur ou aux ayants-droits qui acceptent généralement, puisque c’est eux qui perçoivent les droits d’auteur ensuite.
- Etienne : Notre morceau est une simple reprise de Sun Ra. Inévitablement les droits d’auteur reviennent à ses ayants-droits même si nos arrangements sont éloignés du morceau original. Dans le cas de Lady Gaga, contrairement à nous, la mélodie originale a beaucoup changé (les notes, mais pas le rythme). Elle n’a donc conservé que les paroles de façon probante ! Elle doit donc payer des droits d’auteurs pour le texte aux ayant-droits de Sun Ra (certainement sa famille). C’est indiqué sur le disque ainsi que le fait que le sample est de nous... Notre avocat a demandé qu’il en soit ainsi.
Racontez-nous comment ce sont passés les négociations?
- Etienne : Tout s’est joué en moins de 24h. Le soir même les avocats de chaque maison de disque se sont mis d’accord. Le lendemain on a reçu les contrats, et à partir du jour où ils les ont reçus signés, ils ont annoncé la sortie du morceau en single.
Bref, ce fut intense et notre avocat s’est donc battu en visio-conférence avec les avocats d'Interscope. A un moment on a cru qu’ils allaient virer notre sample et le remplacer, ce qui revenait donc à tout perdre. Heureusement on a pas cédé au bluff et ils ont accepté nos conditions. Nous nous sommes dit: "Ça n'arrive pas tous les jours: jouons!!!"
Je vous le dis, ce n’est pas énorme. C’est la crise du disque : les ventes aujourd’hui ne sont plus ce quelle étaient. Ce qui est drôle c’est qu’ils n’étaient pas au courant que notre morceau était une reprise de Sun Ra. On leur a donc appris le fait et ils nous ont remercié de leur avoir dit. Sinon ils s’exposaient à des poursuites.
A vrai dire, je ne sais pas trop pourquoi ils ont gardé le sample de nos voix. J’aime bien ce que l’on a fait, ça fout la pêche, mais ça ne me paraît pas irremplaçable. En fait je crois qu’ils vont vite et que leur temps est précieux. Pas le temps de s’encombrer de détails, ils préfèrent régler ça à coups d’avocats, plutôt que de s’embêter à refaire le sample à l’identique...
- Neman : Comme ils ont voulu clearer le sample à la dernière minute, on a eu la chance de pouvoir négocier grâce à ça, car le disque devait être déjà terminé et fabriqué, et ils ne pouvaient pas revenir en arrière. Après on peut voir ça aussi dans l’autre sens: eux, préférant payer pour ne pas qu’on les accuse de plagiat. En tout cas on n’aurait jamais pensé qu’on allait se retrouver dans un truc pareil !! Je pense que la raison numéro 1, c’est Internet qui permet aujourd’hui d’écouter une quantité infine de nouvelle musique.
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