Il faudra qu'on analyse un jour en détails la forme et les manières des documentaires musicaux de la BBC, l'unanimité qu'ils provoquent chez le public pop à travers le monde et leur influence de plus en plus prononcée sur la mélomanie post-internet.
Dans les centaines de discussions en ligne plus ou moins intéressantes, plus ou moins sanguines qui ont suivi la diffusion cet été sur Arte de Bienvenue au Club, le documentaire de Dimitri Pailhe sur l'histoire de la house et/ou de la techno (on n'a pas bien saisi, avouons-le), le thème le plus intéressant à émerger des débats était toujours celui d'une histoire officielle, malheureusement de plus en plus admise pour ce qui concerne l'évolution de la musique électronique depuis le début des années 80, que la plupart des documentaires sur la musique se contentent souvent de réciter paresseusement en dépit, parfois, souvent, de réalités historiques bien plus complexes et chaotiques.
Or si cette tempête de merde qu'est Internet nous a appris quelque chose de positif depuis 15 ans, c'est bien à nous méfier des histoires officielles. Bien sûr, nous ne nous sommes pas tous transformés en petit Michel Foucault du dimanche prêts à en découdre à tout prix avec les chronologies à la truelle ("Pierre Henry est le Père de la techno") et l'enfilade de clichés ("Les Rolling Stones c'était les méchants et les Beatles c'était les gentils"). Mais la multiplication des médias spécialisés indépendants de qualité et des ouvrages historiques volontiers révisionnistes (Peter Shapiro sur le disco, Rob Young sur les musiques folk, Simon Reynolds sur la dance et Bob Stanley sur l'histoire de la pop toute entière) confirme ce désir de plus en plus aigu des fans de musique d'envisager l'histoire de la musique comme une très vaste jungle à la flore immensément variée, où certains événements à l'échelle infinitésimale importent parfois plus à long terme que les grands mythes mille fois rabâchés des grands vainqueurs de la postérité.
Manifestement conçus pour combler des manques, les désormais fameux rockumentaires de la BBC (Heavy Metal Britannia, Reggae Britannia, Prog Rock Britannia, Synth Britannia, Northern Soul: Keeping the Faith, Krautrock: The Rebirth of Germany, The Joy of Disco...) son tous très agréables à regarder mais ne font malheureusement pas grand chose pour aller contre cette tendance gros sabots de l'historiographie rock.
Dernier avatar en date, Rising Up That Hill: The Kate Bush Story (diffusé vendredi soir sur BBC4) rend assurément un hommage très opportun à l'immense pop star britannique. Mais la forme wikipedia friendly (alternance d'archives et d'entretiens dythirambiques sur fonds flous) autant que les grosses ficelles hagiographiques du fond nous donnent envie de lancer un petit glaviot dans le torrent d'éloges: la seule nouveauté notable de cette triste historiette hagiographique est l'absence d'une voix off, remplacée par des panneaux très sobres insérés entres les extraits d'entretiens.
On passe évidemment un moment très agréable avec une brochette d'intervenants très chics et / ou très charismatiques (Peter Gabriel, l'écrivain Neil Gaiman, le chorégraphe Lindsay Kemp, Viv Albertine des Slits, John Lydon, St. Vincent, Elton John, Tricky, Steve Coogan...) mais à peu près tout ce qu'y énonce (Kate Bush la banshee secrète à la voix d'outremonde, Kate Bush l'inventeuse de nouveaux prototypes pour la chanson pop, Kate Bush la grande chanteuse mélodramatique...) tient si fort du cliché et du néant théorique qu'on est à peu près certain que personne à part le semi néophyte, qui se souvient forcément d'avoir un jour dansé sur "Babooshka" dans un mariage, n'apprendra quoi que ce soit.
A croire que le but secret de ce documentaire serait, à l'instar de 98% des documentaires sur le rock produits sur notre planète, d'enfoncer un clou de plus dans le cercueil du rock, ce bidule agonisant depuis on ne sait plus trop quand qu'on n'en finit plus de supplicier en lui greffant de gré ou de forces les mêmes schémas, mythes et légendes, ad nauseam.
Restent les images d'archives de la chanteuse, post-adolescente ou adulte flamboyante, adorable en interview et sublime en clip ou en concert, dont une bonne moitié étaient invisibles sur Youtube mais sans doute toutes connues des fans collectionneurs de VHS. Au final, tout ce qui nous intéresse, tout ce qui nous fascine est contenu brut et pur dans ces courts documents, tous mille fois plus denses en mystère et en informations que tout ce que nous racontent le montage et les dizaines d'intervenants de cette story rutilante. On ne le répètera jamais assez: ce qui compte le plus dans un documentaire, ce n'est pas son sujet, c'est la manière dont il le regarde, le désosse, l'ausculte et éventuellement le sublime.
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