ALEX CAMERON: Forced Witness 


C’est l’histoire d’un fantasme. Un sentiment fiévreux de déjà-vu. Collant comme du Pento, brûlant comme le macadam fraîchement coulé, impénétrable comme les vitres tintées d’une limousine. Brillant et noir comme l’anthracite.

Il y a ce gamin qui arpente au hasard les couloirs du métro, monte dans la première rame qui passe. Le futur n’existe plus, il vient de se faire plaquer. Il écoute en boucle Candy May. "Yeah, 'cause I'm frail and I'm tired / And I constantly complain about the pain I'm in". Cette chanson est comme un tunnel de lumière. Le vent qui l’emporte et le déposera délicatement sur le rivage, à deux brasses de l’enfer.

"We’re in love again".

Demain lorsqu’il fera écouter à ses amis "Runnin’ Outta Luck", ils le dévisageront avec embarras, compassion et sarcasme. Comme s’il venait de leur apprendre qu’il avait chopé une MST.

On a les héros qu’on mérite.


Alex Cameron n’est personne et tout le monde à la fois. La somme de tous les fantasmes masculins. Le pire et le meilleur du mâle contemporain. L’espoir et la destruction. Le père qui t’a abandonné à ta naissance, ton cousin qui t’a fait fumer ton premier joint, ton meilleur pote du lycée qui t’a volé ta petite amie, le fantôme de ton frère jumeau mort en couche, ton oncle qui t’a offert ta première guitare. Le type qui fait la manche en bas de ton immeuble, un mime sans public, un pervers planqué derrière son écran qui drague des gamines, un VRP évangéliste, le mec qui arrive à te faire les poches les yeux fermés ou le riche inconnu qui viendra payer ta caution quand tu te retrouveras en taule.

Le fils caché de Lee Harvey Oswald et de JFK.

À tant vouloir substituer à notre regard un monde qui s’accorde à nos désirs (pour reprendre les mots d’André Bazin) l’homme reste t’il un homme? La musique reste t’elle de la musique?

L’album Forced Witness, c’est le meurtre de la pop et sa résurrection.

Guillaume Marietta


Le nouvel album de Marietta "La Passagère" est disponible depuis le 29 août chez Born Bad Records.  Il sera en concert le 5 octobre à Petit Bain à Paris.


NEIL YOUNG: Hitchhiker


Au début j’ai hésité à faire ce "slow listening" parce que je n'avais jamais écouté Neil Young sérieusement et là je me retrouve à l’écouter au studio dans le sud la nuit avant d’enregistrer mon album.
C’est assez bouleversant, plusieurs raisons :
Déjà l’album est sortie d’une capsule à remonter le temps et pourtant le texte a un rapport tellement précis avec nos jours, c’est chirurgical.

On a vraiment tout foiré comme espèce, Neil Young sort un chef-d’oeuvre devant l’autoapocalypse de notre condition planétaire comme un Nostradamus hippie. Il savait dans quelle condition le monde était, mais je ne pense pas qu’il savait que des décennies plus tard les douleurs variées de Hitchhiker seraient les mêmes douleurs politiques et sociales d'aujourd'hui. Il nous tend le miroir avec sa voix.

Il a des mélodies que je pourrais imaginer être chantées par Kate Bush. C’est psyché par nature, sans le costume, sans la caricature. Parfois ça sonne comme un bourré qui essaie de marcher sur des coquilles. Le chaos tout fragile, tout délicat et poétiquement paumé.

J’avoue Neil Young, t’es un type du cosmos. 


MICHELLE BLADES

La discographie de Michelle Blades est disponible chez Midnight Special Records.

Elle sera en concert pour les 6 ans du label le 11 octobre à la Maroquinerie à Paris.