Il fait une chaleur écrasante le 12 juillet 1979 à Chicago. Les Chicago White Sox et les Detroit Tigers s'affrontent au Comiskey Park et c'est au cours de ce match de la ligue majeure de base-ball que Steve Dahl (le Malcolm McDowell en surpoids représenté sur la photo ci-dessus) a organisé la Disco Demolition Night.
Le principe est simple : entrée quasi-gratuite pour toute personne munie d'un vinyle disco à détruire, bannières DISCO SUCKS déployées aux quatre coins du stade, et Dahl, arborant fièrement veste militaire et casque de l'armée, en chef de cérémonie. Avec ce coup de pub impromptu, les organisateurs espéraient attirer une audience de 20 000 personnes, soit 5000 de plus que celle d'un match régulier. Ce sont finalement plus de 50 000 spectateurs qui affluent à l'entrée du Comiskey Park, dont une bonne partie des ados blancs prolétaires en stetson, santiags et coupes au bol qui constituent la majeure partie du following de Dahl.
L'homme est une petite figure locale, un DJ au sens Howard Sternien du terme, aussi bien passeur et sélecteur de disques qu'animateur d'émission. Fan de rock'n roll, frustré de s'être fait vider de sa station d'attache parce qu'il ne programmait pas assez de disco, Dahl pense tenir là sa petite vengeance personnelle. Mais le contexte social et racial du Chicago de la fin des années 70 donne forcément à cette nuit de démolition un sous-texte qui dépasse très largement une simple oppostion Nile Rodgers / Jimmy Page.
Si l'Amérique blanche s'est depuis longtemps approprié le rock, la disco reste indissociablement associée à la communauté noire. C'est l'héritière directe de la soul de Stax et de Motown et de la funk de James Brown et Georges Clinton. C'est aussi la musique de la danse, de Soul Train, des clubs, des premiers balbutiements de l'affirmation de la communauté homo. Toutes choses qui au-delà de leur aspect artistique il est vrai parfois douteux, cheesy voire carrémment absent, ne plaisent pas du tout au versant blanc, pratiquant et conservateur de la nation.
Comme c'était prévisible le petit auto-dafé bon enfant imaginé par Dahl vire à l'émeute quand le public chauffé à blanc envahit le terrain juste après que le DJ ait mis le feu à la benne à ordures remplie de vinyles (prix estimé du contenu de la benne sur Discogs : 396 202$). La grosse catastrophe est évitée de justesse mais les conséquences sur la ville se font très vite sentir : le disco retourne progressivement dans l'underground, beaucoup de clubs ferment ou se reconvertissent sur des secteurs plus porteurs et moins politiquement dangereux type rock sudiste et country western, le fossé déjà béant entre les communautés noires et blanches de la ville se creuse un peu plus.
Après ce coup d'éclat Dahl a poursuivi sa trajectoire sans accrocs. Fort de sa nouvelle notoriété il a tourné dans les années qui suivirent avec John et Joan Cusack, est devenu éditorialiste pour le Chicago Tribune et il anime et produit aujourd'hui son podcast, diffusé en simultané sur le Steve Dahl Network et WLS-AM sur lequel il peut coninuer sa petite croisade culturelle en faveur des Eagles, de Lynyrd Skynyrd et de Willie Nelson.
40 ans après la Disco Demolition Party, on ne peut que constater qu'au-delà d'avoir permis à une meute de fans de Ronnie Van Zant de satisfaire leurs instincts grégaires, elle a servi de cache-sexe à une forme insidieuse de racisme encore à l'oeuvre dans la société américaine. Mais cette nuit de juillet a eu un autre impact sur la culture populaire afro-américaine de la fin des années 70 puis sur la pop culture globale des années 80 et 90. En forçant la scène disco de Chicago à se replier sur elle-même et à se retrancher dans ses bastions ségrégués, Dahl a favorisé l'émergence d'un courant bien plus radical, libre et hédoniste que la disco : la house music.
Bien joué Steve !
Pour en savoir plus sur la Disco Demolition Night, vous pouvez visionner le documentaire que RBMA lui a consacré ici.
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