Depuis son premier album Psycho Tropical Berlin paru en 2013 (et jusque dans ses premiers maxis auto-produits autour de 2010), La Femme passe son temps à traverser ses propres chansons avec une sorte de désuétude en apparence frivole, un peu joueuse, un peu moqueuse ; une manière de s'adresser à l'intime tout en esquissant constamment d'espiègles pas de côté - de préférence en monocle, cigare et queue-de-pie. Sur leur second long format Mystère, sorti vendredi dernier, on retrouve cette occurrence par endroits, notamment sur un morceau comme "Septembre", qui, sous ses allures peu engageantes de simili yéyé un peu poussive, dit bien plus qu'elle n'y paraît de la fin des vacances, de l'angoisse sourde inhérente au succès grandissant, mais aussi de la naissance de la mélancolie d'adulte.
Seulement, on ne peut s'empêcher de penser que quelque chose a indéniablement changé entre les deux disques de La Femme. Lorsqu'on écoute Mystère plus attentivement (et qu'on essaie de le laisser décanter comme tout album qui se respecte - il y en a encore qui font des albums en 2016, on y revient), on ne sait pas trop si l'on se trouve en face d'un groupe qui essaie de prendre en marche le train de la chanson-française-pour-les-masses ou de faire autorité sur cette dernière en y faisant rentrer à coup de crosse sa séduisante étrangeté. Tiraillés entre l'envie d'être à la fois Mathématiques Modernes et Patrick Juvet, ZNR et Françoise Hardy, Etienne Daho et Lucrate Milk, les morceaux de Mystère tirent dans toutes ces directions-là, en prenant le risque (assumé) de manquer leur coup à chaque fois.
Il semblerait que les attentes démesurées créées à l'égard du groupe ne se soient (provisoirement?) retournées contre lui, et la désuétude un peu cinglée dont on parlait plus haut prendre lentement mais sûrement le chemin d'un conservatisme tout français, assez commode, dénué de réelle vision si ce n'est celle de plaire au plus grand nombre - et donc en définitive à personne. Nouveau look d'époque O.R.T.F, verres fumés à la Kojak, investissement de la variét' dans tout ce qu'elle a de plus franchouillarde : cette régression par la ringardise est d'ailleurs largement entretenue par la presse - je suis quasiment sûr d'avoir lu une référence à Roger Gicquel quelque part.
Il faudra en outre arrêter ce réflexe de critique rock du début des années 2000 de vouloir à tout prix chercher "un sauveur du rock", en France et ailleurs. Ou à persister de vouloir considérer La Femme comme un groupe "générationnel". D'une part parce que cette appellation est flinguée en France depuis les films de Cédric Klapisch, d'autre part parce que le fait de parler de génération en 2016 commence de moins en moins à avoir de sens, la communauté de personnes visée étant bien trop multiple, trop éclatée, pour pouvoir être réduite à deux trois traits de crayon sociologique (surtout de la part de critiques de plus de 40 ans pour la plupart - merci mais non merci). Si La Femme s'adresse à quelqu'un aujourd'hui, c'est avant tout à soi-même (à la rigueur à ses fans), et c'est très bien comme ça. C'est fini Damien Saez, les gars.
À force de vouloir le considérer comme un messie ou un porte-voix de qui que ce soit, il n'est pas impossible que le groupe finisse par se croire, consciemment ou non, investi d'une mission - de "sauver le rock français" donc, mais aussi la "jeunesse", et pourquoi pas le pays tout entier, tiens. Et en étant un "un sauveur du rock" et à vouloir répondre à des impératifs d'un autre âge, on finit forcément par sortir un "deuxième album compliqué".
Selon nous, ce goût pour l'anachronisme, tant dans l'exécution que dans la réception de la musique de La Femme, est symptomatique de deux choses. D'une part, du problème (peut-être éternel, en tout cas toujours irrésolu à ce jour) qu'entretient la France avec la musique populaire. D'autre part, de l'impossibilité actuelle qui consiste pour un artiste français "de niche" à passer de l'autre côté de la barrière sans passer pour un branque, un vendu, ou pire, un "chanteur de variété". Et à l'écoute du nouvel album du groupe (mais avant ça de ceux de Sébastien Tellier, de Philippe Katerine, voire de Gainsbourg bien longtemps avant eux - horizon à peine voilé de tous ces gens), on se pose très sérieusement cette question : est-on condamné à devoir se fringuer comme Marcel et son orchestre, se foutre des plumes dans le derrière et sonner comme un groupe de baloche pour espérer en France obtenir un véritable succès d'envergure ?
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