Photo: Kelsey Henderson
On ne va pas la faire longue, on a déjà dit tout le bien qu'on pensait de Uniform, un des rares groupes actuels capables de sonner dangereux et intelligent en même temps. Alors que la gota de la pop Starbucks se trémousse dans les manifs anti-Trump, les deux kamikazes de Uniform ont un programme assez simple : tout raser et reconstruire un espace vivable sur les cendres de l'Amérique sur fond de metal digital et d'indus punk ultra sale. Explications ci dessous avec Ben Greenberg, guitariste et producteur du groupe...
Il y a eu un événement un peu particulier qui vous a poussé à monter le groupe, non ?
Ben Greenberg : Ce n'est pas vraiment un événement. Mais j'ai fait un rêve un jour, on faisait de la musique avec Berdan (chanteur du groupe) et c'était très très fort, tellement fort qu'on ne distinguait pas les notes et tous les gens dans la salle étaient sous le choc. C'est bizarre, car on pourrait penser que les musiciens font plutôt des rêves où le public les adore mais là c'était tout le contraire. Les gens avaient peur et nous détestaient. J'ai appelé Berdan et le lendemain et on a commencé à jouer.
Il y a une influence metal dans votre musique ?
Je n'ai jamais aimé le metal, j'étais plutôt dans le hardcore et le free jazz. Berdan a grandi en écoutant du metal, c'est très important pour lui. Mais l'idée était surtout avec ce groupe de repousser nos limites et dans ce processus de donner naissance à quelque chose de nouveau. Un des paramètres de cette approche était la vitesse. On voulait faire quelque chose de très extrême et jouer très vite en était une des composantes. On voulait se détacher de tous ces groupes mid tempos un peu banals qu'on a croisés au fil des années...
Uniform - The Killing of America (Official Music Video)
04:23
Ça te touche la notion de crossover ? Pas vraiment. Notre idée est plutôt de transcender les notions de genre pour créer quelque chose que les gens n'ont jamais écouté et ce avec les outils qui sont à notre portée.
Je te parlais de metal car quand j'étais gamin les groupes comme Metallica ou Megadeth faisaient peur aux gens et maintenant tout ça est devenu un peu une blague...Uniform s'adresse aux outsiders selon toi ? Je suis d'accord avec ta vision du metal contemporain. Je ne veux pas que les gens aient peur. Mais si on se challenge en tant qu'individus en créant cette musique, on espère que le fait de l'écouter ou la voir en live va créer ce même genre de réactions chez les gens qui reçoivent notre musique.
photo: @nikkisneakers Votre approche live correspond-elle à une idée de communion (proche de l'éthique punk hxc) ou de confrontation (plus liée à la musique noise/harsh noise) ? C'est intéressant cette dualité présentée comme ça. Je vois bien ce que tu dis : en gros, soit tu es sur scène tu lèves les bras et tout le monde tourne en rond dans le pit ou tu es à même le sol tout nu et tu te jettes sur le public
(rires). On a fait beaucoup de musique tous les deux mais on ne s'est jamais reconnu dans une scène musicale. On a toujours agi en périphérie. Notre approche du live est donc très différente de ces présupposés. Tu as déjà fait du jogging ? Il y a un moment où tu cours assez longtemps et tu atteins un autre stade, tu dépasses l'effort physique et ton cerveau semble s'éclairer d'un coup et tu vois les choses différemment. Et bien notre musique en live c'est ça. C'est pour ça qu'on doit jouer le plus fort possible. On doit atteindre ce stade supérieur et y emmener le public.
Tu fais partie des gens qui pensent qu'Internet a explosé la notion de sous-genres et d'underground ? Je ne sais pas...Attends je vais avoir des problèmes si je dis ça comme ça
(rires). Les scènes musicales ne sont qu'une construction sociale de plus, une reproduction à petite échelle de la société. Internet les aide à fonctionner, cela permet à chaque groupe d'avoir un public avec des gens qui viennent féliciter les musiciens à la fin du concert, acheter leurs t-shirts et qui les aident à se sentir assez confiants pour rouler vers la prochaine ville. Et puis en vieillissant, ils quittent ces micro-sociétés. Le processus est le même que lorsque j'étais ado et je fouinais chez le disquaire. C'est juste plus facile et ça efface à certains endroits la notion d'originalité. Ce qui est important c'est ce que font les gamins de ce qu'ils trouvent sur Internet. Mais au final c'est toujours la même boucle et la répétition des mêmes comportements.
Uniform "Ghosthouse" (Official Audio)
07:26
Ma théorie là-dessus est que de nos jours toute la musique contemporaine est devenue une forme de "merch". Je m'explique : avant Internet tu représentais tes goûts et ta personnalité en portant le tshirt d'un groupe ou un patch sur ta veste. Dorénavant, tu portes virtuellement la musique sur les réseaux sociaux sans vraiment l'écouter. C'est juste lié à une forme de représentation sociale. Et ça rend difficile le fait de faire passer un message ou de défendre une vision plus globale et moins instantanée...
Je vois très bien ce que tu veux dire. Tu connais cette citation : "Tout le monde a le droit à une voix mais tout le monde ne devrait pas avoir un micro". Ca résume parfaitement la situation actuelle je trouve. Quand j'étais petit à New York, il n'y avait pas vraiment de scène. J'allais aux concerts "All Ages" entre 13 et 16 ans. Mais les gens que je croisais dans les scènes DIY me snobaient, j'étais trop jeune. Ça a beaucoup influencé ma vision des choses. Je n'ai jamais cherché à m'insérer dans une culture qui aurait des contours très limités et un dogme.
Tu as envie de changer les choses avec Uniform ? Sur une échelle globale ? En particulier dans le contexte actuel aux USA ?
J'adorerais pouvoir changer les choses car le climat est très effrayant et beaucoup de gens ont déjà été tués et blessés. Tout le monde est très effrayé. Et ça concerne les deux bords politiques. Les gens ont peur les uns des autres. Et finalement, ceux qui se réjouissent et profitent de cette situation sont très peu nombreux. Ce que j'espère c'est que notre musique peut créer un espace dans lequel n'importe qui peut exprimer sa colère, ses frustrations et toutes ses émotions. Une sorte d'espace de liberté.
Pour finir sur une note plus gaie, tu pourrais me citer un morceau qui te rend vraiment vraiment heureux ? Alors ce n'est pas un truc obscur : "Magic man" par Heart. C'est un des mixes les plus incroyables qui ait jamais été fait sur un morceau. Écoute-le au casque. La façon d'arranger les pistes est dingue. Il y a énormément d'instruments et pourtant tout est si clair. C'est parfait.
Heart - Magic Man (Vinyl)
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