photos de Chloé De Nombel
Molnbär av John est le projet musical de John Henriksson. Si l'on vous a déjà parlé de ce dernier à plusieurs reprises ici c'est pour sa qualité de boss du label suédois Tona Serenad à qui l'on doit pas mal de belles choses (Musette, Sverige, Matti Bye, Directorsounds...). Mais John Henriksson est également un digger et dj passionnant, et surtout l'auteur d'une triplette de 45 tours géniaux réunis aujourd'hui par le label japonais Flau en un beau LP intitulé The End incluant des photos prises par Chloé de Nombel, et un poème écrit par Gilles Weinzaepflen, aka Toog, tellement magnifique que nous le reproduisons ici en exergue de l'entretien que John nous a accordé, et du streaming exclusif dudit LP :
"The End s'assoit, commande un whiskey et jette un regard aux alentours. On entend une voix et The End se retourne. Derrière lui il y a une foule, ce sont les spectateurs, ils demandent à The End de ne pas s'en aller, de ne surtout pas s'en aller, de rester avec eux, de ne pas refermer le livre d'images, de ne surtout pas le refermer. The End leur demande pourquoi il ne doit pas refermer le livre d'images, pourquoi il doit rester avec eux. La foule en larmes lui annonce que le monde ne suffit pas, il a besoin d'histoires et c'est lui, The End, qui baisse le rideau de la boutique et éteint la lumière. On ne veut pas que la boutique à rêves ferme, on ne veut pas que le rêve s'interrompe. Alors un jeune s'approche de The End et lui tranche la gorge. Quelqu'un demande est-ce la fin ou le début de quelque chose ?"
John Henriksson est depuis son plus jeune âge un féru de hip-hop. Devenu ensuite un dandy romantique d'une élégance et d'une nonchalance d'un autre temps, il produit, depuis 2006, une musique à mi-chemin entre l'ambient et le lounge faite de collages de samples et de scratches tranquilles. Un sampler SP303, un tourne-disque Vestax Handytrax, une Loop station, un soupçon de delay, une pincée de clarinette, et cette devise en tête : "Moonlight and love songs are never out of date."
John a en tout et pour tout sorti trois 45 tours de ses collages sonores émouvants comme des 78t retrouvés dans la cave de l'hôtel Overlook : les deux premiers sur Tona Serenad : I Wish I Could Draw Her Nose (en 2009), et The Thunderclown Sketches (en 2012), rassemblant les démos instrumentales de l'album que John a fait avec Momus, "The Thunderclown" (au passage l'un des meilleurs disques de Momus de ces quinze dernières années). Et le troisième, en fait un split EP avec Milan W. édité par un micro-label belge en 2013, Music For Night (shops), comprenant plusieurs titres de John regroupés sous l'intitulé Kaikki Loppunu.
Tu as commencé à faire de la musique très jeune. Te souviens-tu de tes premiers enregistrements et de tes idoles d'alors ?
J'avais environ 13 ans quand j'ai commencé à m'amuser avec des samples. Je venais de faire l'acquisition d'un FastTracker dans un magasin d'occasions. A cette époque, j'échangeais avec mes camarades des cassettes VHS remplies de vidéos musicales enregistrées sur les chaînes du satellite. Comme la plupart des gamins de ma génération, je ne recevais pas MTV, mais je passais des journées entières assis devant la télévision à regarder des vidéos de rap commercial et sirupeux. Un jour, un ami a accidentellement effacé une de mes cassettes... Pour se faire pardonner, il a eu l'excellente idée de remplacer ces enregistrements médiocres par une émission de Yo! MTV Raps. Ce soir-là, on pouvait voir et écouter Jamal ("Keep It Real"), Method Man ("Bring The Pain"), Cypress Hill ("Illusions"), The Fugees ("Fu-gee- la"), Cypress Hill, Redman et EPMD ("Throw Your Hand In The Air") et des tas d'autres titres merveilleux. J'ai usé cette cassette jusqu'à la corde. Elle m'a ouvert à un univers de sonorités moelleuses ou rocailleuses, aux beats boom bap et au rap east coast. J'ai même essayé de mimer ces rappeurs américains, mais ce n'était pas très convaincant.
Quels sont les éléments de ce premier choc esthétique que tu as conservés dans ta musique ?
En écoutant attentivement les premières productions de DJ Muggs, RZA, Da Beatminerz, je crois qu'on peut faire le parallèle avec certaines de mes idées ou des humeurs que j'essaie d'insuffler dans ma musique. Je pense notamment à ces samples mystérieux, bruts, poussiéreux et monotones dont j'aime me servir. Avec un ami, on s'évertuait à retrouver l'origine des samples de nos morceaux de rap préférés et à acheter les disques orginaux. J'ai beaucoup appris sur la composition de cette manière.
D'accord, mais il y a toutefois dans ta musique une délicatesse et une tendresse qu'on peine à retrouver dans les productions hip-hop des 90s !
Je dois l'admettre... Je ne viens pas du Bronx ! Je suis originaire du nord de la Suède et j'ai été élevé dans la classe moyenne. Certes, l'énergie de cette musique était fascinante pour un garçon comme moi, mais je me suis vite rendu compte qu'il était ridicule d'essayer de la restituer. En dehors de la musique, mes principaux passe-temps sont le dessin et la peinture. J'aime aussi les balades dans cette nature qui est si belle dans ma région natale ! Je pense que le romantisme et la délicatesse de ma musique viennent de tous ces éléments qui ont forgé mon caractère.
Un peu comme chez The Caretaker, ta musique est très cinématographique, mais elle semble davantage destinée à stimuler l'imagination qu'à illustrer un film ou une vidéo. As-tu déjà songé à composer pour l'écran ?
J'adore The Caretaker. J'ai d'ailleurs failli arrêter de faire de la musique quand j'ai découvert son travail. Il parvient à créer un univers fascinant avec sa façon de travailler des boucles. Je pense que lui aussi devrait travailler sur une musique de film. En ce qui me concerne, il m'est parfois arrivé de travailler sur des films, notamment avec Matti Bye pour accompagner en live du cinéma muet. J'aimerais beaucoup pouvoir travailler sur des films : ça représente à la fois un grand défi et beaucoup de travail !
Quels sont les morceaux les plus anciens de ton disque ? Quand et où commence et finit The End ?
Cette histoire a commencé en 2006 lorsque je vivais encore dans le nord de la Suède. J'ai alors rencontré Joe Danell (Musette) et décidé de m'installer à Stockholm. Les premiers titres de The End sont principalement construits autour de fragments très courts enregistrés au dictaphone. A l'origine, ceux-ci ont été publiés sur le 7' I Wish I Could Draw Her Nose, la première sortie de mon label Tona Serenad. Les titres les plus récents, dont les compositions sont plus minimalistes et brutes, viennent du disque Kaikki Loppunu. J'ai enregistré ces derniers mocreaux à Paris pendant le printemps et l'été 2013 à l'aide d'une MPC.
Est-ce que ta vie parisienne a influencé ta musique ? Certaines chansons évoquent l'apprentissage du français ("Aujourd'hui il fait beau"), raconte-nous un peu ton histoire liée à Paris.
Oui, elle m'a influencé de différentes manières, à la fois musicalement et personnellement. J'écoute beaucoup d'artistes français, mais j'ignore si cela s'entend réellement dans mes enregistrements. J'ai emménagé à Paris en 2010 avec l'idée de débuter une nouvelle vie. J'ai rencontré des amis formidables et je me suis efforcé de m'approprier la ville. Mais ce n'est pas aussi facile qu'on le prétend. Je garde un sentiment doux-amer de ces années. "Aujourd'hui il fait beau" est à la base une leçon de français dispensée par mon grand ami Xavier Gautier. Il raconte avec des phrases simples et faciles à apprendre pour un étranger, le déroulement d'une bonne journée-type que nous pouvions passer ensemble. Ce sont des phrases faciles à apprendre pour un étranger et elles m'ont été très utiles, je vais m'en souvenir pour le restant de mes jours.
Comment trouves-tu tes samples ? Peux-tu nous en dire un peu plus sur tes façons de fabriquer des boucles et de traiter les vinyles ?
À une époque je passais mon temps chez les disquaires et les boutiques d'occasions à fouiller dans les piles de disques à 50 centimes ou un euro, avec pour seule règle : si je regardais un disque plus de cinq secondes, je l'achetais. Je ramenais ainsi à la maison des tonnes de disques plus ou moins bons (j'ai fini par devoir stopper cette activité), en rentrant, je m'asseyais devant la pédale de boucles, le sampler et ma platine, et je cherchais des sons, des boucles... En général, je reconnais immédiatement une boucle qui va marcher, le simple fait qu'une boucle me fasse sourire voire franchement marrer me suffit. Et si je trouve un sample marrant et que tout d'un coup j'en trouve un autre très différent mais qui va bien avec, cela va créer un contraste étrange mais d'autant plus intéressant. C'est le morceau idéal : deux boucles complètement différentes, de par leurs provenances, mais qui vont fonctionner ensemble et créer ce petit monde que j'affectionne tant.
The End (Flau/import), sortira le 5 octobre mais s'écoute en avant-première sur The Drone et se pré-commande ici (si vous lisez le japonais).
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