Matt Cutler tourne à l’obsession. Une obsession vive qui lui inspire pour un temps limité une grande idée et un album, qui se retrouve invariablement bardé par une electronica apaisée, des rythmes boom bap ou dernièrement, des réminiscences jungles avec son nouvel album, Levitate. À la frontière du rêve et de la synesthésie, Lone semble compléter, album après album, une toile où chaque morceau est projeté, formant petit à petit un long défilé d’influences et de souvenirs reliés par un même goût commun pour la mélodie et une vivacité colorée, empreinte de nostalgie.
Au sein de ce labyrinthe, Levitate prend place à New York, dans une torpeur fiévreuse qui voit Matt Cutler être pris d’hallucinations. Au bout de la maladie se détachent des morceaux de jungle qui traversent l’esprit du producteur, jusqu'à l’obsession, une fois de plus. Déjà marqué par une époque qu’il découvre sur les cassettes de sa sœur à l’âge de 11 ans, Lone investit la rave de sa patte, mêlant breakbeats et mélodies de son cru, au sein de son album le plus direct.
À l’heure de son petit déjeuner, on a posé quelques questions au producteur mancunien sur son premier mosh pit, son amour des longs formats et son opposition farouche au revivalisme rave ou certains journalistes l’ont un peu trop vite rangé.
Lone - Backtail Was Heavy (Official Video)
05:10
Matt, le point de départ de Levitate débute quand tu étais malade à New York. Peux-tu nous en dire plus sur ce point ?J’étais en tournée aux États-Unis, on prenait l’avion tous les jours, et on jouait finalement à New York. J’avais de la fièvre, et par chance, nous avions trois jours de repos que j’ai pu passer au lit pour me soigner. C’était une fièvre très élevée qui me donnait des hallucinations, je ne sais pas si tu as déjà été dans cet état, mais ton cerveau est vraiment embrouillé, plein de pensées et de réflexions étranges. J’avais toutes sortes de musiques qui traversaient mon cerveau, et pour la plupart, il s’agissait de jungle avec ces mélodies magnifiques qui me rendaient fou ! Quand j’ai commencé à me sentir mieux, j’en ai parlé à mon ami Tom et je lui ai demandé de faire un visuel sur ça. Il m’a conseillé de composer la musique que j’avais imaginée et je me suis dit que ça pourrait être une bonne idée d’essayer de recréer certains de ces sons.
On est parti à LA quelques jours plus tard, et on écoutait de la jungle sur la route, avec le soleil, et tout s’est assemblé à ce moment là pour moi. J’ai commencé à imaginer comment ça pourrait sonner et c’était le point de départ qui m’a donné envie de rentrer à la maison et de commencer à travailler sur
Levitate.
Est-ce que tu te souviens de la première fois ou tu as écouté de la jungle ?Oui, j’étais très jeune, ma sœur et ses amis avaient ses cassettes de morceaux rave et jungle, je devais avoir 10 ou 11 ans. J’ai mis la main dessus à ce moment là et je suis devenu obsédé par ce son.
Tu disais dans une interview que ton intention pour chaque album était de communiquer avec l’imaginaire de l’auditeur. Quel était ton but avec celui-ci ?Avec cet album, je ne voulais pas sonner comme un vieux raveur old school. Quand je travaille avec des
breakbeats, je me sens à l’aise. Je n’essaye pas de faire directement référence à la
rave music, j’aime ce type de rythmes et je voulais faire quelque chose en rapport avec des éléments de jungle et de rave, en rajoutant des d'autres éléments par-dessus.
Tes 3 derniers albums sont très différents les uns des autres. Quel lien essayes-tu de garder entre chacun d’entre eux ? Je pense que le point fort de mon écriture est de parvenir à écrire des mélodies et des accords. Même si je ne placerais pas ce procédé au centre de ma dynamique. Si je peux jouer plusieurs types de musiques, je veux voir jusqu’où je peux expérimenter cette versatilité. Donc je dirais que le lien serait des mélodies harmonieuses et des accords parce que c’est ce qui me vient le plus naturellement quand je compose.
Comment est-ce que tu visualises la musique ? Est-ce que tu as parfois la sensation que certains de tes sens peuvent se mélanger ? Oui définitivement, je visualise les sons comme des formes et des couleurs. Ça m’aide à composer de visualiser la musique.
Tu as fait 7 albums en 9 ans, est-ce que tu composes rapidement ?
Je pense que je compose vite, une fois que j’ai l’idée de départ. J’écris très vite les morceaux, parce que ça fait un moment que je fais ça déjà. Une fois que j’ai mon idée, je sais exactement ce que je veux faire, le procédé de composition de la musique est devenu une routine pour moi. En revanche, je peux passer beaucoup de temps sur l’idée de départ. Mais une fois que je l'ai trouvé, tout va très vite.
Lone - Vapour Trail
04:32
Est-ce que tu es plus à l’aise avec la structure d’un album ? J’aime beaucoup l’idée d’un album parce que c’est là où je peux déverser toutes mes idées. Si je fais un EP ou juste un single, J’ai toujours l’impression qu’il manque quelque chose. Ça ne représente
pas entièrement ce que j'ai en tête. L’album est la meilleure manière pour moi de porter un message.
Au début de ta carrière, tu faisais des beats, comment est-ce que ça a évolué en quelque chose de plus électronique ?
Je suis passé par plusieurs phases, quand j’ai commencé à faire de la musique, je composais des petits
beats à la Madlib, même si les gens ne réalisent pas qu’avant je faisais des morceaux de jungle, et d’ambient. Je me suis toujours laissé porter par mes idées, sur ce que je ressentais sur le moment.
Lone - Sea Of Tranquility
05:00
Avant Levitate, ta musique avait quelque chose de plus intimiste, qu’il vaut mieux écouter chez soi pour se concentrer sur les détails. Est-ce que tu penses que la vitalité de Levitate te prédispose à une nouvelle approche de la scène ? Oui, on a fait trois concerts depuis la sortie de l’album, on a des visuels, j’ai un batteur sur scène qui récrée les
beats de jungle. L’album est très énergique et je pense que le live doit refléter ça, ça ne peut pas être juste moi avec un ordi. On a fait deux concerts, le troisième est demain à Berlin, il y a encore plus d’énergie sur scène, bien plus que sur l’album. Je pense que c’est très excitant à regarder.
Tu sens que les gens réagissent différemment ? Oui, de manière plus vivante, lors du second concert il y a eu un
mosh pit dans le public, ça n’était jamais arrivé avant !
Quelle représentation tu avais de R&S avant d’y signer ? J’étais un grand fan. J’avais la compilation
Classics d’Aphex Twin et je me souviens de tous ces artistes qui étaient sur le label toutes ces années. C’était vraiment fou quand je me suis retrouvé signé dessus.
Lone - Triple Helix
03:36
Avec ce nouvel album, est-ce que tu as la sensation d’être plus proche de l’héritage du label ? Ça ne m'est pas vraiment venu à l’esprit, quand j’ai fait mon premier EP pour R&S, je crois que j’essayais de faire quelque chose qui s’accorderait avec l’identité du label, mais maintenant je pense que c’est juste une coïncidence. Je fais mon propre truc, et je n’y pense pas du tout.
J’ai lu plusieurs chroniques ou ta musique est décrite comme faisant partie de ce mouvement nostalgique sur la rave. Qu’est-ce que tu penses de ce revivalisme ? Voilà c’est le truc, je n’en fais pas partie.
Levitate n’a rien de nostalgique comme je l’ai dit, je voulais faire quelque chose avec des
breakbeats, de l’énergie, des mélodies, comme d'habitude. Je n'essaie pas de regarder en arrière d’une quelconque façon, ou de raviver l’époque des raves ou quoi que ce soit de ce genre là.
Mais que penses-tu de ce mouvement néanmoins, du travail de producteurs comme Jamie XX ou Paul Woolford avec Special Request ? C’est cool, mais ce n’est pas ce que j'essaie de faire. Je peux comprendre la confusion parce que j’utilise de nombreux sons issus de cette musique, mais je n'essaie pas de faire des références explicites à cette période, je veux juste m’en servir pour aller de l’avant parce que c’est un processus naturel pour moi.